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2021

Deux enfants se tenant la main devant l'eau et les glaciers.

«Les menaces liées aux changements climatiques peuvent augmenter de manière additive, interactive et cumulative le risque de psychopathologies chez les jeunes, et ce, de la conception jusqu’à l’adolescence.»

Tel est le constat général qui se dégage d’un article scientifique signé par Francis Vergunst, chercheur postdoctoral en santé publique à l’Université de Montréal, et Helen Louise Berry, professeure à l’Université de Sydney.

Publié dans la revue Clinical Psychological Science, l’article s’appuie sur une perspective développementale pour démontrer que les changements climatiques affectent déjà le développement psychologique des enfants du monde entier. «Ces effets commencent avant la naissance et s’étendent tout au long de la croissance, et ils s’accéléreront avec l’avancée des changements climatiques», croit Francis Vergunst, spécialisé en développement des enfants.

Le développement compromis, de la grossesse à l’adolescence

Selon les auteurs de l’article, avant même la naissance de l’enfant, les facteurs de stress aigus liés à des évènements climatiques extrêmes – tels que des ouragans, des incendies de forêt et des inondations – peuvent traumatiser la mère physiquement et mentalement. «Ces expériences peuvent nuire au développement du fœtus et accroître les risques de retards de développement cognitif par exemple», précise M. Vergunst.

Le chercheur postdoctoral ajoute que les facteurs de stress subaigus, comme les vagues de chaleur, sont liés à un risque accru de complications obstétriques et de naissances prématurées, «des facteurs de risque bien établis pour plusieurs troubles psychiatriques majeurs».

Ensuite, les auteurs abordent la période de la naissance à l’âge de cinq ans, où les enfants sont alors très vulnérables aux maladies infectieuses, aux toxines environnementales, à l’exposition à la chaleur et à la déshydratation. D’abord physiques, ces problèmes peuvent aussi retarder le développement sur les plans de la cognition et du langage.

Au cours de la période de la moyenne enfance (de 6 à 12 ans), les enfants restent vulnérables aux facteurs de stress environnementaux, mais deviennent également plus aptes à comprendre les changements climatiques et leurs répercussions sur leur avenir. Pour Francis Vergunst, «cette prise de conscience peut engendrer du stress, du désespoir, de l’anxiété et de la frustration envers les générations précédentes».

Les adolescents tout aussi à risque

Francis Vergunst rappelle que l’adolescence est marquée par des changements physiologiques, hormonaux et sociaux majeurs, et que la moitié des troubles psychiatriques sont établis avant l’âge de 18 ans.

«Les changements climatiques font monter la pression à cette étape de la vie en augmentant la fréquence, l’intensité et la durée des facteurs de stress liés aux conditions météorologiques, affirme-t-il. L’exposition à de tels évènements est associée à un risque accru de trouble de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression, qui compromettent à long terme la résilience en matière de santé mentale.»

«Il n’y a pas de temps à perdre»

Le document de recherche de Francis Vergunst et sa collègue expose ainsi sur les plans théorique et empirique l’influence de la crise climatique sur la santé et le bien-être psychologiques des jeunes générations, de la conception à l’âge adulte.

Mais c’est également un plaidoyer pour l’urgence de mettre en œuvre des actions rapides et efficaces pour réduire ce fardeau, une question majeure, selon eux, de «justice internationale et intergénérationnelle».

À cet effet, ils défendent l’idée d’intégrer les jeunes dans les discours et les mesures d’atténuation des changements climatiques afin de jeter les bases d’une nouvelle génération de citoyens engagés et de dirigeants efficaces.

«Donnons-leur le sentiment de faire partie des solutions et qu’ils peuvent être plus que des témoins impuissants dans ce lent accident de train qu’est leur avenir», conclut Francis Vergunst.

 

L’image montre un avenir avec des technologies adaptées à la chaleur, notamment l’agriculture robotisée et les bâtiments verts, et une présence humaine minimale en raison de la nécessité d’un équipement de protection individuelle.

Alors que les experts mondiaux du climat se réuniront dans quelques jours à Glasgow, en Écosse, pour la 26e Conférence des parties (COP26) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, une étude canado-britannique provocatrice, cosignée par deux anthropologues de l’Université de Montréal, suscite beaucoup d’intérêt partout dans le monde.

Dans l’étude dirigée par Christopher Lyon, chercheur en sciences sociales de l’environnement de l’Université McGill, Ariane Burke et Julien Riel-Salvatore, de l’UdeM, ainsi que des collègues de quatre universités britanniques affirment que, si l’Accord de Paris de 2015 est ignoré et que le réchauffement climatique n’est pas stoppé au cours de ce siècle, «la Terre sera inhospitalière pour les humains» d’ici 2500.

Pour illustrer les projections de leur modèle climatique, les auteurs présentent des croquis de ce à quoi ressembleront certaines régions du globe d’ici là: une Amazonie sans arbres, un Midwest subtropical, un sous-continent indien où le riz est récolté par des robots sous une chaleur extrême.

L’article a été publié le 24 septembre dans Global Change Biology et a atteint un public plus large peu après grâce à un résumé paru dans The Conversation, un site d’information à but non lucratif consacré à la recherche universitaire et dont l’UdeM est partenaire.

Nous avons demandé à Mme Burke et à M. Riel-Salvatore de nous en dire plus sur les projections de l’étude et d’expliquer comment elles pourraient alimenter le débat à la COP26.

Qu’est-ce qui vous a motivés à vous projeter si loin dans le futur?

Ariane Burke: La plupart des recherches et des politiques relatives au changement climatique «à long terme» se fondent sur l’horizon de 2100 depuis des décennies. Nous nous demandions à quoi pourrait ressembler un climat plus chaud dans les siècles à venir. En d’autres termes, nous voulions avoir une meilleure idée du monde dans lequel nos enfants et petits-enfants devraient apprendre à vivre si nous ne parvenons pas à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Mais 2100 semble bien loin. Comment pouvons-nous connaître avec certitude l’évolution de l’environnement d’ici là?

Julien Riel-Salvatore: Il faut se rappeler que 2100 semblait également très lointain dans le Premier rapport d’évaluation du GIEC 1990 [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], mais on doit maintenant se rendre compte que les enfants d’aujourd’hui pourraient encore vivre en 2100. Le choix de cette date n’a aucune base scientifique, car le climat continuera à se détériorer même après. Les évaluations qui s’arrêtent là donnent donc à tort un sentiment de finalité quant au changement climatique mondial alors qu’il ne s’agit que d’un point de repère.

Êtes-vous les premiers à proposer des projections qui vont au-delà de 2100?

AB: Bien sûr, les scientifiques savent depuis longtemps que le changement climatique se poursuivra bien au-delà de 2100, mais très peu de modèles climatiques proposent des projections sur 100 ans ou plus. Cela s’explique notamment par la complexité du système climatique et par les multiples rétroactions qui compliquent la modélisation du changement sur une période aussi longue. Dans cet article, les modélisations climatiques reposent sur des scénarios extrêmes. Nous voulons choquer les gens et les aider à imaginer ce que le changement climatique, s’il n’est pas maîtrisé aujourd’hui, pourrait signifier pour leurs enfants, leurs petits-enfants et les générations à venir. Si le changement climatique n’est pas suffisamment atténué à long terme, nous craignons que cela transforme la Terre et qu’elle devienne méconnaissable, rendant difficile, voire impossible, le maintien des lieux et des écosystèmes essentiels à notre développement et à notre survie en tant qu’espèce.

Que souhaitez-vous que les climatologues et les décideurs politiques présents à la COP26 retiennent de votre travail?

JRS: Nos résultats fournissent à d’autres chercheurs une base de travail pour la réalisation de meilleures projections du changement climatique après 2100. Ils permettent aussi aux décideurs politiques et au public de mieux comprendre l’ampleur de ses répercussions sur le climat si nous éliminons les émissions de gaz à effet de serre dès maintenant et si nous ne le faisons pas. Nous espérons que nos résultats contribueront à encourager les actions visant à atteindre zéro émission afin d’aider les personnes et les lieux vulnérables à s’adapter aux changements auxquels ils sont déjà confrontés.

Votre article a-t-il suscité beaucoup de réactions jusqu’à présent?

AB: L’article initial paru dans Global Change Biology a été résumé en anglais dans The Conversation à la fin septembre, ce qui a engendré plus d’un quart de million de vues, puis il a été traduit en français. Nous sommes très heureux que les questions soulevées dans l’article suscitent de l’intérêt, en particulier maintenant, alors que la COP26 va débuter. Nous avons utilisé notre domaine d’étude pour dépeindre des scènes de la vie future afin d’aider les décideurs et le public à comprendre les conséquences du changement climatique, mieux qu’avec les graphiques ou les chiffres qu’ils voient habituellement dans les articles et les rapports scientifiques. C’est important, et les gens semblent nous écouter.

 

À propos de l’étude

L’article «Our climate projections for 2500 show an Earth that is alien to humans», par Christopher Lyon, Ariane Burke, Julien Riel-Salvatore et leurs collaborateurs, a été publié le 24 septembre 2021 dans Global Change Biology et résumé dans The Conversation le 26 septembre 2021 (en anglais) et le 18 octobre 2021 en français sous le titre «Nos projections climatiques pour l’an 2500 montrent que la Terre sera inhospitalière pour les humains». L’article a été rédigé en collaboration avec des collègues de l’Université McGill et, au Royaume-Uni, des universités de Leeds, de Sheffield, d’Oxford et York.

Femme debout à côté de son vélo, face à l'eau et la vue du centre-ville de Montréal.

Plusieurs facultés de l’UdeM joignent leurs forces pour créer un pôle d’excellence en santé urbaine en faveur de villes en santé, équitables et durables au Québec et dans le monde.

La ville, sous ses différentes formes, est le cadre de vie de plus de la moitié de la population mondiale, une proportion en augmentation constante. Et c’est dans des villes, comme à Montréal, que la pandémie a montré de manière éloquente l’inégalité des répercussions des crises sanitaires sur certains groupes sociaux.

Soucieuses de cette réalité, l’École de santé publique de l’Université de Montréal (ESPUM), la Faculté de l’aménagement, la Faculté de médecine, la Faculté de médecine vétérinaire et la Faculté des arts et des sciences de l'UdeM s’unissent pour lancer une initiative interfacultaire et intersectorielle sur la santé urbaine.

Ce pôle d’excellence a pour but de regrouper les forces en recherche de l’Université en collaboration avec les milieux professionnels, gouvernementaux et communautaires compte tenu du caractère planétaire des enjeux de santé urbaine.

Rattachée au grand chantier Construire l’avenir durablement du Laboratoire d’innovation de l’UdeM, cette initiative cible les milieux de vie urbains pour contribuer à la santé de leurs résidants, mais aussi à celle des animaux, des végétaux et, plus largement, de l’environnement.

Pourquoi s’intéresser à la santé urbaine?

Pour Carl-Ardy Dubois, doyen de l’ESPUM, les inégalités sociales ont été largement révélées par la pandémie et la perspective urbaine invite à «repenser nos défis et nos objectifs collectifs en matière de santé, ainsi qu’à concevoir des approches innovantes pour agir ensemble». Elle favorise l’intégration des connaissances et des pratiques entre les disciplines (sciences de la santé, aménagement, sciences sociales, éducation, etc.) et entre les secteurs (de l’enseignement, professionnel, gouvernemental, des milieux associatifs, etc.). 

De son côté, le Dr Patrick Cossette, doyen de la Faculté de médecine, souligne que «les villes santé sont plus que jamais une priorité». Il ajoute que, avec leurs partenaires, les facultés visent à «élaborer des interventions de santé innovantes afin d’offrir des ressources aux communautés urbaines dans le besoin à travers un continuum, des enfants aux aînés».

Aussi, «l’approche du phénomène urbain dans une perspective de santé publique nous force à penser l’aménagement des villes, des lieux d’habitation, de travail ou de détente dans une optique plus large de bien-être physique et mental, explique Raphaël Fischler, doyen de la Faculté de l’aménagement. Cette démarche lie le travail des architectes, urbanistes, designers et architectes du paysage encore plus fortement à d’autres efforts en matière d’inégalités sociales et de changements climatiques».

 

Ferme avec silos au vaste champs et ciel bleu nuagé.

Le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, de concert avec son partenaire le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, a annoncé ce matin la création du Réseau québécois de recherche en agriculture durable (RQRAD), une mesure phare du Plan d’agriculture durable 2020-2030 (PAD).

Coordonnée par quatre chercheurs dont l’expertise est amplement reconnue dans le domaine de l’agriculture durable, la création du RQRAD prend racine dans l’engagement du gouvernement à miser sur l’agriculture pour produire des aliments de grande qualité dans le respect de l’environnement. Le RQRAD apportera une contribution déterminante aux travaux et aux efforts en la matière. Cette subvention, de 2,5 M$ sur cinq ans, fait suite à un appel de propositions lancé en avril dernier.

Le programme du RQRAD s’articule autour de quatre axes de recherche permettant la mise en commun des forces vives engagées dans l’accroissement des connaissances en lien avec la santé et la conservation des sols et la réduction de l’usage des pesticides dans un contexte de changements climatiques. Les outils numériques, l’agriculture de précision et les données massives ainsi que les aspects socioéconomiques sont également des thématiques du programme du Réseau.

L’équipe des cotitulaires du RQRAD est formée par:

·       Jacques Brodeur, de l’Université de Montréal;

·       Jean Caron, de l’Université Laval;

·       Alain N. Rousseau, de l’Institut national de la recherche scientifique;

·       Paul Thomassin, de l’Université McGill.

Regroupant plus de 200 chercheurs et chercheuses de 15 établissements universitaires, 5 centres collégiaux de transfert de technologie et plusieurs centres de recherche provinciaux et fédéraux, le RQRAD assurera la concertation et la coordination des efforts en matière d’agriculture durable afin de garantir l’arrimage des recherches produites avec le besoin de connaissances des milieux utilisateurs concernés.

Lutte biologique ou pesticides?

Expert des relations plantes-insectes, le professeur du Département de sciences biologiques de l’UdeM et directeur de l’Institut de recherche en biologie végétale  Jacques Brodeur se spécialise dans le domaine de la lutte biologique, une méthode de substitution à l’épandage de pesticides qui utilise des organismes vivants antagonistes. La chrysope, un insecte surnommé «lion des pucerons» puisqu’elle s’en nourrit, en est un bon exemple.

«La nécessité d’un développement durable s’impose inéluctablement dans nos sociétés, souligne Jacques Brodeur. En agriculture, il importe de préserver la qualité des sols et de nous affranchir de notre dépendance aux pesticides de synthèse. Les cibles nouvellement établies par le gouvernement du Québec s’avèrent légitimes et ambitieuses. La balle se trouve désormais dans le camp de quelque 200 chercheurs et chercheuses et milliers d’agriculteurs et agricultrices du Québec. À nous de relever le défi.»

En plus de contribuer à atteindre les objectifs du PAD, cette mobilisation sans précédent assurera un leadership fort du Québec sur les scènes locale, nationale et internationale en agriculture durable, au regard des aspects tant économiques et environnementaux que sociétaux.

Source: Fonds de recherche du Québec - Nature et technologies.

 

Des chercheurs de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’UdeM ont découvert que des champignons et des bactéries spécifiques semblent liés au bon développement du bleuet sauvage.

Le frère Marie-Victorin disait du bleuet sauvage indigène du Québec qu’il était le «bleuet des roches acides ombragées» pour illustrer à quel point Vaccinium angustifolium ‒ son nom latin ‒ pousse, vit et se multiplie dans des environnements difficiles, voire hostiles. 

Membre de la famille des éricacées, ce bleuet sauvage abonde en effet sur des sols acides pauvres en nutriments. Comment expliquer ce phénomène? 

Depuis longtemps, les chercheurs soupçonnent que la capacité d’adaptation de Vaccinium angustifolium repose sur la présence de champignons dans le sol qui contribuent à le nourrir. Cependant, très peu d’études ont été effectuées pour décrire l’écologie microbienne du bleuetier sauvage sur ses terres. 

Le doctorant Simon Morvan et le professeur Mohamed Hijri, de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal, ont donc entrepris d’en caractériser le microbiote à partir de 45 échantillons de sol prélevés autour des racines de bleuetiers dans trois bleuetières commerciales situées au Saguenay.

Des bactéries pourvoyeuses d’azote

Les chercheurs ont extrait l’ADN des échantillons de sol et ont amplifié des marqueurs de l’ADN bactérien et fongique pour permettre de les identifier. Après avoir comparé ces séquences d’ADN avec celles des bases de données taxinomiques, ils ont constaté que les champignons les plus abondants dans le sol appartiennent à l’ordre des Helotiales, qui regroupent de nombreuses espèces de champignons mycorhiziens éricoïdes. Ces champignons produisent des enzymes qui dégradent la matière organique et fournissent ainsi une source de nutriments aux bleuetiers. 

«Plus important, nous avons découvert la présence de bactéries de l’ordre des Rhizobiales, connues pour leur capacité à fixer l’azote. Ces résultats indiquent que les bleuetiers peuvent avoir accès à une source additionnelle de nutriments par l’entremise de l’azote atmosphérique, commente le professeur Hijri. Cette caractéristique était connue pour les légumineuses, mais pas pour les bleuetiers.»

Une importante symbiose

Selon les auteurs de l’étude, la capacité des bleuetiers sauvages à s'adapter à leur environnement semble ainsi étroitement liée à leur symbiose avec les champignons mycorhiziens éricoïdes et à la présence de bactéries Rhizobiales fixatrices d’azote. Cette hypothèse s’appuie sur les corrélations positives établies entre certaines espèces de ces deux groupes et le taux d’azote foliaire des bleuetiers relevé lors de l’échantillonnage.  

Cette caractérisation des sols sur lesquels pousse Vaccinium angustifolium est importante, car «on ne peut planter cet arbuste: la seule façon de le cultiver consiste à aménager l’environnement pour lui permettre de pousser et de se reproduire», rappellent Mohamed Hijri et Simon Morvan.  

En menant d’autres projets de recherche sur le sujet, les chercheurs espèrent contribuer à l’élaboration de produits biostimulants qui amélioreront le rendement des champs de bleuets sauvages.  

«Mettre au point un tel produit est complexe, car il implique l’implantation d’organismes vivants dans le sol où il y a déjà une présence microbienne, mais c’est la voie pour l’avenir de l’agriculture en général: moins de chimique et plus de bio!» concluent les deux chercheurs.

Une espèce abondante au Québec!

Vaccinium angustifolium et son cousin Vaccinium myrtilloides sont les deux espèces de bleuetiers sauvages les plus abondants au Canada, qui est le plus grand producteur et exportateur de cette petite baie prisée dont la valeur d’exportation était de 238,8 M$ en 2019, selon les données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. À lui seul, le Québec exploite le bleuet sur 35 579 hectares, dont plus de 80 % de cette superficie se trouve dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.  

Homme à la fourche déposant des résidus de terre dans une brouette.

Sébastien Sauvé et son équipe ont été mandatés pour analyser des échantillons de sols agricoles en France. La revue «Environmental Science & Technology» publie aujourd’hui ce qu’ils y ont trouvé.

D’aucuns considèrent qu’un manteau en tissu hydrofuge est très utile par temps pluvieux, mais peu savent qu’il peut aussi contaminer l’environnement, car il contient des substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) surnommées forever chemicals — «produits chimiques éternels». Ces substances sont nommées ainsi, car leur composition chimique leur confère une persistance dans l'environnement extrêmement longue.

Une équipe de chercheurs dirigée par Sébastien Sauvé, chercheur spécialisé en chimie environnementale à l’Université de Montréal, a découvert que les matières résiduaires urbaines utilisées comme engrais en France contiennent plus de PFAS que les amendements d'élevage, c’est-à-dire le fumier animal utilisé comme fertilisant dans les champs. Ces résultats viennent d’être publiés dans la revue Environmental Science & Technology de l'American Chemical Society.

En raison de leurs propriétés tensioactives utiles, les PFAS ont été produits massivement pour les revêtements antiadhésifs, les tissus hydrofuges et les mousses anti-incendies. Cependant, les scientifiques ont détecté ces «produits chimiques éternels» dans l'environnement, ce qui suscite des inquiétudes quant à leur toxicité.

L’équipe du professeur Sauvé a caractérisé les PFAS dans les matières organiques résiduaires d’hier et d’aujourd’hui épandues sur les champs agricoles en France et a trouvé les plus grandes quantités de ces substances dans les échantillons urbains, les composés changeant au fil du temps.

Des produits bannis dans de nombreux pays

Bien que la production des PFAS les plus préoccupants ait été interdite ou volontairement abandonnée dans de nombreux pays, ces composés persistent dans l'environnement.

«Ils ont également été remplacés par d'autres PFAS dont les effets sur l'environnement et la santé sont incertains. Les humains et le bétail peuvent ingérer des PFAS et les excréter dans leurs déjections ou encore les composés peuvent s'infiltrer dans les eaux usées domestiques et se retrouver dans les effluents traités des eaux usées municipales, explique Sébastien Sauvé. Lorsque ces résidus sont appliqués sur les champs agricoles en tant qu'engrais, les PFAS pourraient contaminer les eaux souterraines et se bioaccumuler dans les cultures alimentaires.»

Sébastien Sauvé et ses collègues de l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) ont caractérisé de manière exhaustive plusieurs classes de PFAS dans les résidus organiques – y compris les fumiers d'élevage, les boues et composts d'eaux usées urbaines et les déchets industriels – appliqués comme engrais sur les terres agricoles françaises.

Des engrais agricoles français de 1976 à 2018

Les chercheurs ont sélectionné 47 échantillons d’amendements organiques destinés à l'application sur les champs, collectés en France de 1976 à 2018. La spectrométrie de masse à haute résolution a permis de détecter des PFAS qui n’avaient pas été caractérisés auparavant. Plus de 90 % des échantillons contenaient au moins un PFAS et l’équipe a décelé jusqu'à 113 composés dans un seul échantillon. En outre, elle a mis au jour des niveaux plus faibles de PFAS dans les fumiers d'élevage que dans les matières résiduaires d'origine urbaine. Dans les déchets urbains, les chercheurs ont trouvé des niveaux élevés de PFAS qui ne sont pas couramment surveillés, ce qui laisse entendre que les études précédentes ont sous-estimé les niveaux totaux de PFAS.

Les échantillons urbains d’il y a quelques années contenaient des teneurs plus élevées de PFAS de l'époque, tandis que les échantillons d’aujourd’hui étaient dominés par des composés émergents appelés «fluorotélomères», qui pourraient se dégrader en PFAS plus persistants dans l'environnement, indiquent les chercheurs.

Qu’en est-il au Canada?

«Cette étude a été réalisée avec des échantillons prélevés en France, puisque plusieurs observatoires français de recherche en environnement et en agronomie – l’INRAE, le SOERE PRO et le Cirad – réalisent des suivis de longue durée quant au recyclage agricole des produits résiduaires. Ils avaient ainsi accès à une banque très précieuse d’échantillons recueillis pendant des dizaines d’années pour effectuer ce genre d’analyses. On peut présumer que la situation au Canada est comparable, mais nous ne pouvons l’affirmer, faute d’études», mentionne le professeur Sauvé.

Toutefois, les PFAS ont déjà été détectés dans les environnements canadiens, dans l’eau de rivière et l’eau potable, dans les produits de la pêche ainsi que dans les eaux usées domestiques. Santé Canada a montré que certains contaminants perfluorés utilisés auparavant avaient été décelés dans le sang de plus de 95 % des Canadiens. Ces substances peuvent être transportées sur de grandes distances et se bioaccumuler dans les chaînes alimentaires, ce qui explique leur détection dans la faune du Haut-Arctique canadien.

Depuis une quinzaine d’années, le Canada a mis en place une approche visant à éliminer progressivement les perfluorés les plus préoccupants, en limitant leur utilisation à certaines exemptions. Les niveaux d’exposition aux anciennes substances ont d’ailleurs baissé ces dernières années dans la population canadienne, tandis que le statut des PFAS émergents demeure pour le moment peu documenté.

À propos de cette étude

L’article «Target and Nontarget Screening of PFAS in Biosolids Composts, and Other Organic Waste Products for Land Application in France» a été publié dans Environmental Science & Technology le 20 octobre 2021.

L’étude a été financée par l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies, la Fondation canadienne pour l'innovation, le Programme stratégique de recherche et développement en environnement et la bourse de doctorat en génie de l’Université McGill.

 

Champs de lupins blancs.

Des chercheurs de l’UdeM et du Jardin botanique de Montréal viennent de découvrir un nouveau mécanisme chimique utilisé par les racines du lupin blanc pour dépolluer les sols contaminés à l'arsenic.

La pollution des sols par l’arsenic est un problème mondial, car la nature extrêmement toxique de ce composé entraîne des risques importants pour la santé humaine et l’environnement.

Au Canada, il existe plus de 7000 lieux contaminés par des métaux tels que l’arsenic qui sont considérés comme «très préoccupants» par le gouvernement. Cette contamination est principalement le résultat d’opérations minières passées et récentes et de l’entreposage de bois traité, qui ont laissé leur marque sur l’environnement avec des niveaux d’arsenic dans le sol pouvant être jusqu’à 1000 fois supérieurs aux limites sanitaires règlementaires.

Une façon novatrice de restaurer les sols contaminés par l’arsenic est d’exploiter les mécanismes présents chez certaines espèces de plantes qui leur permettent de tolérer des taux élevés de métaux dans le sol.

«Le lupin blanc [L. albus] est l’une de ces espèces tolérantes à l’arsenic qui est étudiée pour son potentiel de contribution à l’assainissement durable des sols, explique Adrien Frémont, auteur principal de l’étude et doctorant en sciences biologiques à l’Université de Montréal. Les mécanismes en jeu dans la tolérance à l’arsenic chez le lupin blanc sont certainement liés à la libération de composés chimiques naturels directement dans le sol par les racines, mais la nature de ces composés est inconnue et difficile à étudier en raison de la complexité des interactions souterraines.»

Les adaptations chimiques des racines: un continent à découvrir

Pour cette étude, l’équipe a conçu un système original utilisant des pochettes en nylon placées dans le sol près des racines afin de capter les molécules exsudées par le lupin sans endommager le système racinaire. Le mélange hétérogène de molécules recueillies à partir de ces pochettes a ensuite été analysé à l’aide de techniques avancées (métabolomique) pour identifier les composés libérés par les racines de lupin en réponse à des concentrations élevées d’arsenic.

Certaines de ces molécules, les phytochélatines, sont capables de neutraliser les métaux en formant des complexes et sont connues pour leurs fonctions de protection interne face au stress métallique. Toutefois, les phytochélatines n’avaient jamais été mises au jour en tant que composés exsudés dans des sols pollués.

«Nous sommes vraiment ravis de voir comment le fait d’intégrer de nouvelles approches d’échantillonnage sol-racine avec des outils avancés de métabolomique peut donner lieu à de telles découvertes, souligne le doctorant. Nous savons que les plantes peuvent modifier radicalement les propriétés du sol et ainsi transformer ou stopper la pollution des sols, mais la chimie qui sous-tend ces mécanismes, et en particulier la composition et la fonction des composés exsudés, reste un continent à découvrir.»

Des racines qui modifient directement les sols pollués

Les prochaines étapes de recherche s’orientent vers une analyse plus détaillée de l’environnement chimique et biologique à l’interface sol-racine, visant à explorer les différences entre espèces végétales, les interactions avec les microorganismes et les effets de la contamination des sols par un mélange de polluants.

Comme le mentionne le professeur de sciences biologiques de l’UdeM Nicholas Brereton, qui a dirigé cette étude: «Il peut être très difficile d’étudier les interactions complexes qui ont lieu dans la fine couche de sol entourant les racines, mais ces résultats sont gratifiants, puisqu’ils nous indiquent que des mécanismes sont présents chez certaines plantes pour faire face à ce type de pollution. Bien que nous commencions à peine à gratter la surface de ces interactions souterraines, à mesure que nous en apprendrons davantage, nous pourrons potentiellement utiliser ces stratégies naturelles pour améliorer la santé des sols et aider à atténuer certains des dommages environnementaux causés par l’humain parmi les plus persistants.»

À propos de cette étude

L’article «Phytochelatin and coumarin enrichment in root exudates of arsenic-treated white lupin», par Adrien Frémont et ses collaborateurs, a été publié en août 2021 dans la revue Plant, Cell and Environment. doi: doi.org/10.1111/pce.14163.

Ce projet a été réalisé avec l’appui financier du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, de Mitacs, du Programme d’innovation forestière de Ressources naturelles Canada et d’Hydro-Québec.

 

Vue aérienne des ruines du palais minoen de Malia, en Crète.

Des anthropologues, géographes et spécialistes des sciences de la Terre se tournent vers le passé pour voir comment différents peuples se sont adaptés au réchauffement de la planète.

Tout au long de l'histoire, des peuples de cultures et de stades d'évolution différents ont trouvé des moyens de s'adapter, avec plus ou moins de succès, au réchauffement progressif de l'environnement dans lequel ils vivaient. Mais le passé peut-il éclairer l'avenir maintenant que le changement climatique est plus rapide que jamais?

Oui, répond une équipe d'anthropologues, de géographes et de spécialistes des sciences de la Terre du Canada, des États-Unis et de France dirigée par Ariane Burke, anthropologue de l'Université de Montréal, qui est à la tête du Groupe de recherche sur la dispersion des homininés et du Laboratoire d'écomorphologie et de paléoanthropologie.

Dans un article publié aujourd'hui dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, la professeure Burke et ses collègues font le point sur une discipline nouvelle et en pleine évolution appelée «archéologie du changement climatique».

Il s'agit d'une science interdisciplinaire qui utilise des données provenant de fouilles archéologiques et des archives paléoclimatiques pour étudier la manière dont les humains ont interagi avec leur environnement lors d'évènements climatiques passés, tels que le réchauffement qui a suivi la dernière période glaciaire, il y a plus de 10 000 ans.

Les scientifiques espèrent mettre le doigt sur les points de basculement dans l'histoire du climat qui ont incité les populations à réorganiser leurs sociétés pour survivre, montrant ainsi que la diversité culturelle, source de résilience humaine dans le passé, est tout aussi importante de nos jours comme rempart contre le réchauffement climatique.

Nous avons demandé à la professeure Burke de nous parler de son article, rédigé en collaboration avec l'anthropologue Julien Riel-Salvatore de l'UdeM et des collègues de l'Université Bishop's (Sherbrooke), de l'Université du Québec à Montréal, de l'Université du Colorado (Colorado Springs) et du Centre national de la recherche scientifique (Paris).

Qu'est-ce que l'archéologie nous apprend sur la façon dont les peuples du passé ont fait face au réchauffement de leur environnement et en quoi cela est-il encore pertinent?

L'archéologie du changement climatique combine l'étude des conditions environnementales et des informations archéologiques, ce qui nous permet d'établir l'éventail des défis auxquels les populations du passé ont été confrontées, les différentes stratégies qu'elles ont utilisées pour relever ces défis et, en fin de compte, leur réussite ou leur échec. L'une des choses que nous apprenons est l'importance de la diversité culturelle – tant dans le passé que dans le présent – pour la survie à long terme de notre espèce.

Pourriez-vous donner un exemple de la manière dont cela fonctionne?

L'une des choses que les archives archéologiques nous montrent, c'est qu'il existe souvent plus d'une solution aux problèmes posés par le changement climatique. C'est la variété des stratégies qui ont fonctionné dans le passé qui est intéressante, car elle nous fournit une palette de solutions possibles aux problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés. Les modélisateurs du climat se servent également du passé comme d’un «terrain d'essai» où ils peuvent s'essayer à la modélisation de systèmes climatiques très différents de ceux d'aujourd'hui, comme le réchauffement rapide qui s'est produit il y a de 14 700 à 12 700 ans. Cela les aide à modéliser les résultats possibles du changement climatique à l'avenir.

Dans votre article, vous défendez l'importance du respect et de la promotion de la «diversité culturelle» dans le monde en affirmant qu'il s'agit d'une source précieuse de résilience et d'adaptation au climat. Que voulez-vous dire?

Nous avons tendance à oublier que le réchauffement climatique n'affectera pas seulement les personnes vivant dans des économies urbaines et industrialisées. En fait, il les touchera probablement moins que les habitants des zones rurales. De même, nous négligeons le fait que des personnes d'autres milieux pourraient détenir les clés de la résilience. Ainsi, les pratiques agricoles traditionnelles – dont beaucoup ont encore cours – sont des options valables qui peuvent être utilisées pour repenser l'agriculture industrielle et la rendre plus durable à l'avenir. En outre, le changement climatique influera différemment sur les diverses parties du globe et une variété de réponses seront probablement nécessaires – il ne s'agit pas d'une situation à «taille unique».

Vous affirmez également que les cultures indigènes ont un rôle majeur à jouer pour nous apprendre comment réagir au changement climatique. De quelle manière?

Le réchauffement climatique se produira plus rapidement dans l'Arctique que partout ailleurs sur Terre. Les peuples autochtones qui y vivent ont une connaissance détaillée de l'environnement qui sera essentielle pour planifier une réponse durable au changement climatique dans le Nord canadien. De même, les agriculteurs autochtones du monde entier pratiquent une grande variété de cultures qui ne réagiront pas toutes de la même façon au changement climatique. Ils préservent la diversité des cultures dans la chaîne alimentaire mondiale; et si les principaux types de cultures sur lesquels nous comptons venaient à disparaître, cette diversité pourrait bien s'avérer une bouée de sauvetage. Un autre exemple est la réadoption, dans le nord-est de l'Amérique du Nord, d'une agriculture multiculturelle basée sur les «trois sœurs»: le maïs, la courge et le haricot. Il existe des modèles archéologiques pour cela, et il s'agit de les utiliser pour trouver des modes d'agriculture plus durables, à l'échelle locale, qui garantiront la sécurité alimentaire dans les années à venir.

Donc, en ce qui concerne le réchauffement de la planète et ses effets sur l'humanité, le pronostic n'est pas entièrement sombre?

C'est vrai, il y a encore de l'espoir. Depuis des millénaires, les humains expérimentent des solutions face au changement climatique. Certains ont dû affronter des conditions bien pires qu'aujourd'hui, mais ils ont survécu et ont même prospéré. Nous pouvons nous inspirer du passé et chercher des solutions pratiques pour prendre des décisions éclairées pour l'avenir.

À propos de cette étude

L’article «The archeology of climate change: The case for cultural diversity», par Ariane Burke et ses collègues, a été publié le 19 juillet dans les Proceedings of the National Academy of Sciences. Le financement de l’étude a été assuré par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture.

 

Les saules sont naturellement tolérants à la contamination et leurs racines filtrent l'azote des eaux usées, triplant ainsi la biomasse produite, qui peut ensuite être recueillie pour fabriquer des biocarburants renouvelables.

Une étude démontre que des millions de litres d'eaux usées pourraient être traités en utilisant des saules à croissance rapide tout en produisant de la bioénergie et des produits chimiques «verts».

Chaque année au Canada, 6000 milliards de litres d'eaux usées municipales sont partiellement traités et rejetés dans l'environnement, tandis que 150 autres milliards de litres d'eaux usées non traitées sont déversés directement dans des eaux de surface vierges.

Des chercheurs ont trouvé un moyen d'endiguer ce flux: en filtrant les déchets à travers les racines des saules. Après avoir expérimenté la méthode sur une plantation de saules au Québec, les scientifiques estiment que plus de 30 millions de litres d'eaux usées primaires par hectare peuvent être traités annuellement à l'aide d’une telle «bioraffinerie».

Leurs résultats ont été publiés le 14 juin dans le journal Science of the Total Environment.

«Nous apprenons encore comment ces arbres peuvent tolérer et traiter des volumes aussi élevés d'eaux usées, mais la boîte à outils phytochimique complexe des saules nous donne des indices précieux», indique Eszter Sas, auteure principale de l'étude et doctorante à l'Université de Montréal.

Les saules sont naturellement tolérants à la contamination et leurs racines filtrent l'azote, dont la concentration est élevée dans les eaux usées, triplant ainsi la biomasse produite.

Une biomasse pour produire des biocarburants de deuxième génération

Cette biomasse peut ensuite être recueillie pour fabriquer des biocarburants lignocellulosiques renouvelables – biocarburants dits de deuxième génération et produits grâce à l’extraction de la cellulose (molécule contenue dans la paille, le tronc et la tige d’une plante ou d’un arbre): ils sont une solution aux combustibles fossiles et n’entrent pas en concurrence directe avec la chaîne alimentaire humaine comme les biocarburants de première génération, qui sont produits à partir de betteraves, de blé, de maïs, etc.

Nouvelle technologie de profilage

Dans le cadre de leurs recherches, Eszter Sas et une équipe canado-britannique de phytotechniciens, de biochimistes et d'ingénieurs chimistes de l'UdeM et de l'Imperial College London ont également utilisé une technologie avancée de profilage métabolomique (chimique) pour mettre au jour les nouveaux produits chimiques «verts» extractibles fabriqués par les arbres.

En plus de l'acide salicylique (connu comme le principal ingrédient de l'aspirine), que les saules libèrent en grande quantité, une série de produits chimiques «verts» – ayant des propriétés antioxydantes, anticancéreuses, anti-inflammatoires et antimicrobiennes importantes – ont été enrichis grâce à la filtration des eaux usées par les racines des saules.

«Si la plupart de ces composés chimiques découverts n'ont pas été observés auparavant chez les saules, certains l'ont été chez des plantes tolérantes au sel comme la réglisse et les mangroves, dont la puissance antioxydante est connue», souligne Eszter Sas.

Elle poursuit: «Cependant, un certain nombre de produits chimiques trouvés nous sont totalement inconnus. Il est étonnant de constater tous les mystères que recèle encore la chimie végétale; même les saules, qui poussent pourtant depuis des milliers d'années, ont des choses à nous apprendre.»

«Il est probable que nous ne fassions qu'effleurer la complexité chimique naturelle de ces arbres, qui pourrait être exploitée pour s’attaquer aux problèmes environnementaux», mentionne-t-elle.

Des réponses positives surprenantes

En examinant l'effet que le traitement des eaux usées par les saules aurait sur les rendements annuels en produits chimiques «verts» et en biocarburants lignocellulosiques, l'équipe de Mme Sas s'attendait à des répercussions négatives dues à l'irrigation par des eaux usées.

Les scientifiques ont toutefois été surpris par l'augmentation importante des rendements.

«L'un des avantages de l'utilisation de solutions naturelles pour relever des défis environnementaux comme le traitement des eaux usées est que nous pouvons créer des bioproduits complémentaires, comme la bioénergie renouvelable et la chimie verte», affirme pour sa part Frédéric Pitre, auteur principal de l’étude et directeur de thèse d’Eszter Sas.

«Ce concept de bioraffinerie semble fantastique pour permettre aux nouvelles technologies environnementales de concurrencer économiquement les marchés établis des combustibles fossiles et des produits chimiques à base de pétrole tout en contribuant à réduire les dommages causés par l'homme à l'écosystème», conclut-il.

À propos de cette étude

L’article «Biorefinery potential of sustainable municipal wastewater treatment using fast-growing willow», par Eszter Sas et ses collaborateurs, a été publié le 14 juin 2021 dans le journal Science of the Total Environment.

Ce projet a été réalisé avec l’appui financier du gouvernement du Canada.

DEux personnes assises au sommet du mont Royel avec vue sur la ville de Montréal.

En ces temps pandémiques anxiogènes, la Sépaq a demandé à l’équipe de recherche du Dr Louis Bherer de réaliser une revue de la littérature sur les bienfaits de la nature sur la santé globale.

Si les bienfaits d’un séjour en nature sur la santé sont évidents pour la plupart des gens – encore plus cette année, alors que beaucoup de Québécois oppressés par le confinement ont ressenti le besoin vital de se retrouver en nature pour marcher, pratiquer un sport ou simplement relaxer –, de nombreux chercheurs en santé se sont aussi intéressés au sujet, particulièrement dans les six dernières années, afin de vérifier si la science pouvait en fournir des preuves.

«Des bienfaits physiologiques et psychologiques ont été démontrés de manière éloquente par différentes études qui reposent sur des méthodologies scientifiquement éprouvées. J'ai été étonné par la solidité des résultats et j'en conclus que la médecine pourrait faire plus de place aux espaces verts dans ses méthodes de traitement et ses prescriptions», a déclaré Louis Bherer, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et directeur adjoint scientifique de la prévention à l'Institut de cardiologie de Montréal. Il a été mandaté par la Société des établissements de plein air du Québec (Sépaq) pour passer en revue les études scientifiques menées sur la question dans les 30 dernières années afin d’en extraire les constats les plus importants.

Dans un rapport concis et rédigé de façon très accessible, le Dr Bherer et son équipe ont classé les bienfaits sur la santé physique et la santé psychologique que procurent les moments passés dans la nature en trois catégories, soit en fonction de la qualité des preuves scientifiques publiées à ce jour: preuve scientifique établie, présomption scientifique ou faible niveau de preuve scientifique.

Ainsi, grâce à l’analyse de 160 articles répertoriés dans la base de données en sciences biomédicales MEDLINE/PubMed, nous apprenons que la science a clairement établi qu’une activité pratiquée en nature entraîne une réduction de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle, une diminution de l'activité nerveuse sympathique et des niveaux de cortisol (moins de stress), une augmentation de l'activité nerveuse parasympathique (meilleure relaxation) et une baisse de l'anxiété. Toutefois, l’amélioration du bien-être spirituel et le renforcement de la cohésion sociale ne sont pas des bienfaits pour lesquels les équipes de recherche ont fourni des preuves scientifiques très solides jusqu’à maintenant.

Quoi qu’il en soit, la lecture du rapport de recherche Les bienfaits de la nature sur la santé globale donne invariablement l’envie au lecteur d’aller faire une petite balade en forêt, bien que cette assertion n’ait pas encore été prouvée scientifiquement.

 

Abeille au-dessus de l'autoroute.

Dans le but de recueillir des données sur l’identité des espèces d’abeilles et d’insectes nicheurs présents en milieux urbains ainsi que sur leur santé générale, l’équipe de recherche du laboratoire d’entomologie de l’Université de Montréal participera à un projet pilote lancé à l’initiative de Silk Canada et de l’entreprise d’affichage Pattison.

Pendant tout l’été, des panneaux aux couleurs de la campagne de communication de Silk hébergeront des nichoirs pour abeilles solitaires. Ces nichoirs ont pour but de permettre aux pollinisateurs d’y déposer leurs œufs.

«En plaçant certains nichoirs à proximité de bacs à fleurs, nous pourrons obtenir certaines données. Ce projet pilote aidera à mieux comprendre les caractéristiques environnementales qui influencent la présence des pollinisateurs urbains», explique Étienne Normandin-Leclerc, coordonnateur de la collection entomologique Ouellet-Robert de l’Université de Montréal.

«L’idée est donc de surveiller les abeilles pendant l’été et, à l’automne, de recueillir des pailles [cellules natales des abeilles] avec des larves et nymphes afin d’en connaître le contenu, poursuit l’entomologiste. L’objectif est de recenser quelles sont les espèces qui utilisent ces nichoirs et d’étudier le taux de parasitisme qu’ils contiennent, en fonction de leur emplacement, de la proximité avec des bacs à fleurs, de leur hauteur, etc. Les données collectées dans le cadre de ce projet pilote pourraient, dans un second temps, mener à une étude scientifique plus poussée sur les abeilles solitaires dans la métropole.»

Depuis 1965, le laboratoire d’entomologie et la collection d’insectes de l’Université de Montréal occupent une place centrale dans l’élaboration d’une multitude de projets sur la biodiversité des insectes au Québec. Encore trop de lacunes subsistent dans les connaissances sur les abeilles sauvages en ville, notamment sur les influences à long terme du paysage urbain sur ces insectes pollinisateurs.

Crabe et coquillage sur une roche au berge du fleuve.

L’achat local est plus que jamais encouragé, particulièrement en alimentation. Il serait ainsi tout naturel de croire que les Québécois se tournent vers l’immense réservoir de produits comestibles que constituent le fleuve Saint-Laurent, son golfe et son estuaire.

Pourtant, là réside un étonnant paradoxe: 81 % des produits issus du fleuve sont exportés et 89 % des ressources maritimes consommées au Québec sont… importées.

Telles sont les conclusions tirées d’un rapport sur l’économie des pêches au Québec rédigé par l’Institut de recherche en économie contemporaine. Ce tableau socioéconomique des pêches au Québec a été commandé par le collectif Manger notre Saint-Laurent, un projet visant à mettre en valeur les produits comestibles issus du fleuve, promouvoir le plaisir de les manger et soutenir l’autonomie alimentaire québécoise.

«On fish and ship, littéralement», illustre de façon imagée Marie Marquis, directrice du Département de nutrition de l’Université de Montréal et chercheuse associée à ce projet interdisciplinaire. «De tous les produits bioalimentaires du Québec, les produits marins sont les plus exportés», poursuit la chercheuse.

Et pourquoi les consommer?

Quand on demande à Marie Marquis pourquoi on devrait consommer ces produits, elle répond du tac au tac: «Pour de la variété alimentaire, un menu plus équilibré. D’un point de vue nutritionnel, ces ressources sont maigres et faiblement contaminées, en plus de constituer de belles sources de protéines et de gras de qualité.»

La nutritionniste souligne que le fleuve Saint-Laurent héberge une diversité unique d’espèces marines, animales et végétales. «Plusieurs espèces abondantes et de qualité nutritionnelle exceptionnelle gagneraient à revenir occasionnellement dans nos assiettes, comme le sébaste, la mactre de Stimpson, le phoque gris, l’oursin et certaines algues.» Or, de nos jours, elles restent méconnues, oubliées ou mal aimées. Pourtant, elles font partie des espèces à valoriser dans une perspective de développement durable et de protection de la diversité, déplore la chercheuse.

«Pensons au phoque, avance Marie Marquis. Une viande maigre bien de chez nous, en abondance, faible en contaminants et riche en fer, mais qui, pour les populations du sud du Saint-Laurent, est encore marquée de forts préjugés associés à sa chasse. Pourtant, la chasse au phoque, parmi les plus règlementées au Québec, peut être faite en respect de l’éthique animale, au même titre que celle à l’orignal. Et rappelons que son abondance contribue à déséquilibrer les populations de morue, déjà affaiblies par la surpêche.»

Un constat semblable s’applique au sébaste, un poisson de fond friand de crevettes dont la prochaine arrivée massive pourrait venir perturber l’écosystème du golfe. «Il faut qu’il arrive dans l’assiette des Québécois, croit la chercheuse. Il devrait percer le marché institutionnel, celui des hôpitaux, des écoles. Sa chair est douce en saveur, on l’appelle parfois “tofu de la mer”, puisqu’il prend la saveur qu’on lui donne.»

Ainsi, en valorisant les denrées du Saint-Laurent, on diversifie son alimentation et l’on consomme des espèces durables.

À la rencontre des populations locales

La réappropriation reste toutefois un défi de taille. D’abord parce que l’État soutient fortement l’exportation et que les pêcheurs sont intégrés, malgré eux, dans ces circuits, mais également parce que les Québécois doivent «retrouver l’intérêt pour les produits d’ici et accroître leurs connaissances quant à leur transformation».

C’est dans cette optique que Marie Marquis et ses collègues ont entrepris une collecte de données sur le terrain à Cap-Chat, Sainte-Thérèse-de-Gaspé et aux Îles-de-la-Madeleine. L’équipe est allée à la rencontre des habitants, des pêcheurs, des aînés et d’acteurs des domaines de la santé et de l’éducation afin d’explorer les attitudes à l’égard des ressources comestibles du Saint-Laurent, de la pêche et des pêcheurs.

«Nous avons été ravis de constater un réel désir de se procurer les ressources du fleuve, de se rapprocher des pêcheurs et de leur métier et d’apprendre à reconnaître les produits, les cuisiner et les conserver», énumère la nutritionniste.

Comme quoi la volonté y est, mais les structures sont encore à bonifier.  

Plus sur Manger notre Saint-Laurent

Cette initiative regroupe des passionnés issus de différentes disciplines, de divers milieux de recherche et de pratique ainsi que de plusieurs secteurs d’activité, mais qui partagent une volonté: avoir accès aux produits comestibles du fleuve, les mettre en valeur, promouvoir le plaisir de les manger et soutenir la souveraineté alimentaire au Québec.

Elle invite les consommateurs à prendre 5 minutes pour consulter la liste d’établissements qui offrent des produits locaux, puis 10 minutes pour demander à leur poissonnerie locale de favoriser l’accès aux aliments du Saint-Laurent et finalement 30 minutes pour apprendre à les cuisiner.

Cette campagne de mobilisation réunit notamment Colombe St-Pierre, chef du restaurant Chez St-Pierre au Bic, et l’animateur Christian Bégin.

 

Montagnes, lac et conifères en hiver, sous la neige, à Back Bay, à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Des chercheurs en géographie de l’UdeM et de l’Université Wilfrid-Laurier formeront six Autochtones pour entretenir les instruments qui mesurent les gaz à effet de serre dans le nord-ouest du Canada.

«C’est incroyable l’énergie et le temps qu’on dépense pour entretenir nos instruments installés dans le Grand Nord, s’exclame le professeur Oliver Sonnentag, du Département de géographie de l’Université de Montréal. On arrive du Sud pour faire nos recherches, puis on repart, alors que les communautés locales sont directement touchées par les changements climatiques qu’on observe. Avec le projet financé par le Centre des compétences futures, on a l’occasion de changer notre façon de faire de la recherche dans ces régions.»

Le professeur Sonnentag étudie les conséquences du réchauffement climatique et du dégel du pergélisol dans l’écozone de la taïga des plaines, dans les Territoires du Nord-Ouest. Les sols de la région stockent de vastes quantités de carbone. Le dégel du pergélisol pourrait toutefois libérer ce carbone et le transformer en gaz à effet de serre, notamment en dioxyde de carbone et en méthane. On assisterait alors à une boucle de rétroaction qui aggraverait le réchauffement planétaire.

Pour comprendre le processus et mesurer les échanges d’énergie et de gaz entre la surface terrestre et l’atmosphère, l’équipe d’Oliver Sonnentag a installé six tours de micrométéorologie dans le nord-ouest du pays, achetées et exploitées en partie grâce à un programme de subventions d'infrastructure multi-institutionnel dirigé par l’Université Wilfrid-Laurier. Les instruments de ces tours d’une quinzaine de mètres mesurent, à petite échelle, l’absorption et l’émission des gaz par la végétation. «On peut alors calculer la différence entre les deux processus pour un écosystème de quelques centaines de mètres carrés», dit-il.

Un accès limité et compliqué par la COVID-19

Les sites de recherche sont dans des régions isolées. La tour la plus au nord, par exemple, est située près de la communauté d’Inuvik, à une centaine de kilomètres de la mer de Beaufort.  

Quatre ou cinq fois par année, l’équipe d’Oliver Sonnentag doit traverser le pays pour faire l’entretien des instruments alimentés par l’énergie solaire et le vent. «On y va pour effectuer de petites réparations, calibrer les instruments ou télécharger des données. Il nous faut deux jours et demi pour nous rendre à Inuvik seulement!» fait remarquer le professeur.

Avec le début de la pandémie l’an dernier, l’équipe a perdu son accès aux sites de recherche, puisque l’entrée dans les Territoires du Nord-Ouest a été restreinte pour freiner la propagation de la COVID-19. «Nos sites sont presque abandonnés. Je me suis dit qu’il fallait en profiter pour trouver une nouvelle façon de gérer cette portion de notre programme de recherche avec les communautés autochtones de la région», mentionne le chercheur.

Un changement concret

En collaboration avec l’Université Wilfrid-Laurier, Oliver Sonnentag a validé auprès des communautés locales, des divers organismes et du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest la faisabilité d’un projet de formation sur mesure. «On parle beaucoup de cocréation, de cogestion de la recherche ainsi que des enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion. Mais comment y arriver concrètement? se demande-t-il. On ne peut pas justifier la traversée continuelle du pays si des gens habitent tout près de nos installations et qu’on peut les former.»

Aujourd’hui, grâce au financement du Centre des compétences futures, son équipe embauche un professionnel de recherche spécialisé en micrométéorologie basé à Yellowknife. Ce professionnel coordonnera une équipe de six Autochtones venant des trois communautés à proximité des sites de recherche.

Les six nouveaux employés vont recevoir une formation théorique et pratique. Celle-ci touchera aux effets des changements climatiques et du dégel du pergélisol ainsi qu’aux techniques d’entretien des instruments, notamment des panneaux solaires qui alimentent les sites de recherche.

«Ce financement arrive à point parce que, avec nos subventions de recherche habituelles, on se rend sur place, mais on n’a pas l’option de former les gens sur le terrain. On va pouvoir concevoir la gestion du programme de recherche avec les communautés autochtones. C’est fondamental», conclut Oliver Sonnentag.

Pourquoi s’intéresser aux régions boréales et arctiques?

Le pergélisol retient actuellement le carbone stocké dans les tourbières des plaines arctiques. On ignore encore les répercussions réelles d’un dégel de la région arctique boréale sur les changements climatiques.

On sait toutefois que le réchauffement climatique du Nord-Ouest canadien est environ deux fois plus rapide que la moyenne planétaire. On sait aussi que les gaz à effet de serre potentiellement libérés sous l’action du dégel n’ont pas été pris en compte par la majorité des modèles internationaux d’évolution du réchauffement des températures.

Grâce à ses recherches, le professeur Oliver Sonnentag participe à plusieurs projets nationaux et internationaux, notamment l’Arctic-Boreal Vulnerability Experiment de la NASA, le Permafrost Network et le Global Water Futures. Ces réseaux visent à évaluer l’effet des changements climatiques sur les régions circumpolaires.

 

Abeille se dirigeant vers une impatiente du Cap. Crédit : Simon Joly

Pourquoi certaines plantes produisent-elles des fleurs petites et peu attrayantes? Deux chercheurs montréalais pensent avoir compris pourquoi, validant une hypothèse de Darwin vieille de 150 ans.

Qui dit fleur dit couleurs chatoyantes, contrastées et éclatantes… Pourtant, toutes les plantes ne produisent pas uniquement de telles fleurs. Certaines espèces qualifiées de «cléistogames» en produisent en fait deux types: les «normales», qui sont superbes, et les «avortons», qui sont petits, jamais ouverts et qui se pollinisent eux-mêmes. Cette seconde catégorie de fleurs n’a donc pas besoin d'appâter les insectes pollinisateurs par quelque artifice de beauté que ce soit.

Mais jusqu'à présent, la raison d’être des fleurs cléistogames est restée un mystère!

Dans une étude publiée aujourd'hui dans Current Biology, les professeurs de biologie Simon Joly, de l’Université de Montréal, et Daniel Schoen, de l’Université McGill, montrent que la cléistogamie, comme on appelle ce type d'autopollinisation, est fortement associée aux fleurs bilatéralement symétriques, soit celles qui ont un seul plan de symétrie au lieu de plusieurs; les orchidées en sont un bon exemple.

Charles Darwin a formulé cette hypothèse il y a environ 150 ans, mais ce n'est que maintenant, grâce aux recherches de MM. Joly et Schoen, que l'hypothèse a été prouvée scientifiquement.

«Les fleurs possèdent généralement des organes reproducteurs mâles et femelles, ce qui, pour un organisme sédentaire, constitue une stratégie évolutive efficace pour assurer la reproduction, explique Simon Joly, qui est aussi chercheur au Jardin botanique de Montréal, un établissement d’Espace pour la vie. En offrant une récompense telle que du nectar ou du pollen – ou la promesse d'une telle récompense –, les fleurs ont permis aux plantes d'inciter les animaux pollinisateurs à transporter le pollen entre plantes d’une même espèce, agissant efficacement comme intermédiaires dans le processus d'accouplement.»

Échec de la reproduction

«Le problème avec cette stratégie, poursuit le professeur Joly, c’est qu'en l'absence de pollinisateurs la plante peut ne pas se reproduire ou a beaucoup plus de difficulté à le faire.»

Certaines plantes ont donc trouvé des moyens d'éviter ce problème: «Certaines fleurs se pollinisent elles-mêmes. Et lorsque les pollinisateurs sont rares, la production de fleurs cléistogames est certainement la solution la plus particulière et la plus efficace pour assurer l'autopollinisation. Ce n'est pas une stratégie commune, mais la cléistogamie est néanmoins relativement répandue parmi les plantes à fleurs.»

En effet, c’est le mode de reproduction de plus de 500 espèces provenant de 40 familles de plantes à fleurs, comme les impatientes et les violettes. Cependant, la cléistogamie passe la plupart du temps inaperçue en raison de la petitesse des fleurs cléistogames.

«Darwin était bien conscient des avantages de la cléistogamie comme “stratégie” de reproduction et il a émis l'hypothèse qu'elle est plus susceptible de survenir chez les espèces à fleurs bilatéralement symétriques que chez les espèces à fleurs radialement symétriques (qui ont plusieurs plans de symétrie, comme les fleurs de pommier). Et cela parce que les premières sont normalement pollinisées par moins d'espèces d'insectes que les fleurs radialement symétriques», mentionne Daniel Schoen.

Toutefois, jusqu'à présent, l'hypothèse de Darwin sur l'association entre la cléistogamie et la symétrie bilatérale, ou «zygomorphie» pour utiliser le terme botanique, n'avait jamais été correctement testée.

Plus de 2500 espèces analysées

Pour vérifier l’hypothèse de Darwin, Simon Joly et Daniel Schoen ont analysé plus de 2500 espèces de plantes à fleurs – le plus grand ensemble de données jamais réunies pour des fleurs présentant ces caractéristiques inhabituelles. «Les modèles évolutifs indiquent que la cléistogamie survient presque quatre fois plus fréquemment chez les espèces zygomorphes, souligne le professeur Joly, et nous avons obtenu les mêmes résultats quelle que soit la façon dont nous avons analysé les données.»

Les coauteurs ont également constaté que, par rapport aux espèces à symétrie radiale, les espèces à symétrie bilatérale produisent en moyenne la moitié moins de graines et de fruits en l'absence de pollinisateurs, ce qui laisse entendre que la cléistogamie leur procure potentiellement plus d’avantages en assurant la reproduction.

«Ces résultats donnent à penser que la production de fleurs ouvertes et fermées est favorisée dans des environnements aux conditions fluctuantes, comme lorsque l'abondance des pollinisateurs varie», ajoute Daniel Schoen.

Cette étude met en lumière le défi auquel les fleurs sont confrontées: assurer leur descendance tout en minimisant la consanguinité. La cléistogamie représente une solution à ce dilemme en produisant deux types de fleurs: les fleurs normales, qui «se croisent» avec d’autres fleurs grâce aux pollinisateurs, et les cléistogames, qui assurent la reproduction lorsque les conditions de pollinisation sont mauvaises.

«Nous étude a donc confirmé l'hypothèse que Darwin a énoncée il y a 150 ans à partir de ses observations sur quelques dizaines d'espèces, résume Simon Joly. Il est intéressant de noter que certains sélectionneurs développant de nouvelles variétés de plantes ont avancé l’idée que, si les plantes génétiquement modifiées pouvaient être sélectionnées pour produire uniquement des fleurs cléistogames, cela pourrait aider à réduire la propagation de leurs génomes modifiés – une application pratique qui pourrait être très bénéfique pour l'environnement.»

À propos de cette étude

L’article «Repeated evolution of a reproductive polyphenism in plants is strongly associated with bilateral flower symmetry», par Simon Joly et Daniel Schoen, a été publié le 3 février 2021 dans Current Biology.

 

Des agriculteurs vendent leurs céréales et légumineuses andines au marché agroécologique d’Ayllukunapak à Otavalo, en Équateur. Crédit : Ana Deaconu

Le chercheur Malek Batal propose de faire appel aux déterminants environnementaux, sociaux, économiques et culturels des choix alimentaires afin de lutter contre les inégalités en santé.

«La question alimentaire est très complexe, trop longtemps nous l’avons simplifiée en insistant sur le choix alimentaire de l’individu. Et si nous la pensions selon une approche en amont, très en amont, depuis la production, depuis les politiques?»

Telle est la philosophie de Malek Batal, professeur au Département de nutrition de l’Université de Montréal, chercheur au Centre de recherche en santé publique et directeur du groupe de recherche TRANSNU650T, un centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé.

M. Batal s’intéresse aux déterminants environnementaux, sociaux, économiques et culturels des choix alimentaires et à leurs relations avec la santé des individus et des écosystèmes chez plusieurs populations.

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités en nutrition et santé depuis 2020, le chercheur travaille sur les inégalités en matière de nutrition et de santé et sur les problématiques subies de manière disproportionnée par les communautés vulnérables du Canada et d’ailleurs.

Mieux vaut prévenir que guérir

Malek Batal se penche notamment sur l’explosion des cas de diabète, de maladies cardiovasculaires et d’hypertension dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire et parmi les Premières Nations au Canada. À ses yeux, la lutte contre ces maladies chroniques, même si elles sont intrinsèquement liées à l’alimentation, dépasse largement les choix alimentaires. «Les programmes de dépistage du diabète ou ceux d’éducation à la nutrition ne sont pas suffisants pour enrayer cette émergence. Il faut cesser de seulement réagir et favoriser la prévention, croit le chercheur. Il faut s’attaquer à la source du problème.»

Et cette source, pour Malek Batal, c’est entre autres la transition nutritionnelle, un phénomène mondial qui décrit le remplacement graduel, mais rapide, des aliments traditionnels par des aliments occidentalisés. «Souvent transformés et ultratransformés, ces aliments sont de qualité nutritionnelle inférieure: ils sont plus riches en sucre, en gras et en calories, et plus pauvres en micronutriments», précise le professeur.

De plus, la production et la distribution de ces aliments se font souvent au détriment de l’environnement. «Pensons à la destruction des forêts tropicales pour produire de l’huile de palme, l’élevage intensif de bovins ou encore les océans exposés à la pollution plastique occasionnée par les grandes compagnies alimentaires transnationales

Paradoxalement, cette transition est aussi l’une des causes du «double fardeau de la malnutrition», soit lorsque les carences en micronutriments associées à la sous-nutrition coexistent avec la surnutrition. «Ainsi, on observe une certaine synergie entre les deux formes de malnutrition, ce qui accentue encore le risque de maladies chroniques liées à la transition nutritionnelle. Ajoutons à cela les problématiques environnementales, nous arrivons à ce que la commission Lancet appelle une syndémie d’obésité, de dénutrition et de changements climatiques, c’est-à-dire un entrelacement de problèmes de santé qui se renforcent les uns les autres», explique Malek Batal.

Des pistes de solution

La transition nutritionnelle désigne le processus par lequel une société modifie en profondeur sa manière non seulement de consommer des aliments, mais également de les produire. C’est la raison pour laquelle Malek Batal étudie le potentiel de l’agroécologie et des systèmes alimentaires parallèles dans la lutte contre ces maladies chroniques et la dégradation écologique, notamment en Équateur.

Ce projet lui permet d’explorer les liens entre des modèles alimentaires plus durables (diversité des cultures, absence de pesticides, fermes locales, réseau parallèle de distribution, etc.) et leurs effets sur la santé des producteurs et des consommateurs. Cette initiative est financée conjointement par les Instituts de recherche en santé du Canada et le Centre de recherches pour le développement international dans le cadre de la Global Alliance for Chronic Disease.

Le chercheur et son équipe lanceront aussi prochainement une série de formations en ligne sur la nutrition publique, la transition nutritionnelle et les systèmes alimentaires dans les Andes. Subventionnées par la Direction des affaires internationales de l’UdeM, ces capsules serviront à former les étudiantes et étudiants engagés dans le projet en Équateur, une façon d’assurer le transfert des connaissances malgré le contexte actuel qui limite les déplacements.

 

2020

Image aérienne d'une tourbière entourant la forêt à Scotty Creek, dans les Territoires du Nord-Ouest. Au centre, une tour de covariance des turbulences qui mesure les flux de carbone, d’eau et de chaleur issus de la tourbière.

Les tourbières risquent de devenir d’importantes émettrices de carbone d’ici l’an 2100 en raison des activités humaines qui sont, entre autres, responsables du réchauffement climatique.

Plusieurs études menées au cours des dernières décennies ont révélé que les tourbières, qui ne représentent qu’environ 3 % de la surface continentale du globe, stockent le tiers du carbone du sol.

Or, ces tourbières ‒ dont certaines se trouvent dans la zone couverte par le pergélisol ‒ risquent de devenir d’importantes émettrices de carbone, qui entre dans la composition des gaz à effet de serre, d’ici la fin du siècle.

C’est ce qu’avancent 48 experts internationaux dans une évaluation de la vulnérabilité du puits de carbone mondial contenu dans les tourbières, qui vient de paraître dans la revue Nature Climate Change et à laquelle ont contribué les professeurs Oliver Sonnentag et Julie Talbot, du Département de géographie de l’Université de Montréal.

Après avoir évalué le cycle du carbone depuis l’Holocène jusqu’aux deux prochains siècles (-21 000 ans à l’an 2300), les auteurs soulignent surtout la nécessité d'intégrer les stocks et les flux de carbone des tourbières dans les modèles qui estiment la quantité totale de carbone à l’échelle du globe.

Ils indiquent notamment que l'intégration de la dynamique du pergélisol dans ces modèles «nécessite l'inclusion des tourbières, car ces dernières occupent environ 10 % de la zone nordique du pergélisol et représentent au moins 20 % des stocks de carbone du pergélisol».

Préserver les tourbières qui sont encore intactes

Actuellement, les émissions atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2) associées aux tourbières dégradées représentent de 5 à 10 % des émissions annuelles mondiales de CO2 attribuables aux activités humaines.

Mais les experts soutiennent que la situation risque de s’aggraver à plus long terme avec les changements climatiques, l’augmentation de la fréquence des sécheresses et celle qui en découle des incendies de forêt, mais aussi en raison de leur conversion en terres agricoles, particulièrement dans les tropiques.

«Même s’il y a beaucoup d’incertitudes quant au rôle des tourbières et des stocks de carbone qu’elles renferment, notre étude montre que, dans un contexte de changements environnementaux, il est primordial de préserver les tourbières qui sont encore intactes», concluent Julie Talbot et Oliver Sonnentag.

Photo aérienne d'un affaissement de terrain d'un diamètre d'environ 75 mètres attribuable au dégel du pergélisol dans les environs d'Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.  Photo aérienne d'un affaissement de terrain d'un diamètre d'environ 75 mètres attribuable au dégel du pergélisol dans les environs d'Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest.

Avec le réchauffement climatique, les zones de pergélisol pourraient émettre une quantité d’oxyde nitreux plus grande qu’anticipée, selon une revue d’études menée par Carolina Voigt, de l’UdeM.

e pergélisol des régions arctiques, antarctiques et alpines couvre de 20 à 25 % de la surface terrestre et les sols qui le composent emmagasinent de grandes quantités de carbone et d'azote liés à la matière organique.

Cependant, les émissions d’oxyde nitreux (N2O) qui y sont associées pourraient représenter jusqu’à 7,1 % des émissions mondiales annuelles de ce puissant gaz à effet de serre en raison du réchauffement climatique. Un taux beaucoup plus important que ce que croyaient les scientifiques.

C’est là une évaluation approximative faite par une équipe internationale de chercheurs qui a synthétisé pour la première fois la quantité d’émissions globales de N2O issues des régions où il y a du pergélisol. Cela inclut tant les endroits gelés en permanence que ceux qui subissent un dégel en surface lors de la saison chaude.

Publiée dans les Nature Reviews Earth and Environnement, cette synthèse de 47 études a été dirigée par Carolina Voigt, chercheuse postdoctorale de l’Université de l’est de la Finlande et chercheuse invitée au Département de géographie de l’Université de Montréal.

Une estimation prudente

Les études analysées portent sur les données obtenues au cours des dernières années grâce à 123 points de données de captation de flux d’oxyde nitreux dispersés dans les différents écosystèmes du pergélisol de la planète.

Ainsi, les données montrent que, pendant la saison de croissance de la végétation (100 jours), les émissions de N2O du pergélisol pourraient représenter de 0,4 à 3,5 % des émissions mondiales annuelles, selon les régions. Sur une base annuelle, les émissions sont évaluées approximativement à 7,1 %.

Indépendamment de la couverture végétale, les tourbières ont généralement les émissions de N2O les plus élevées parmi les écosystèmes naturels du pergélisol, suivies des hautes terres, tandis que les zones humides en émettent des quantités négligeables.

«Notre estimation est fondée sur relativement peu de points de données et qui affichent en outre une grande variabilité, insiste l’auteure principale de la synthèse. De plus, elle ne prend pas en compte la rétroaction potentielle d'un bassin d’azote du sol en décongélation et n'inclut pas les émissions des plans d'eau tels les lacs, qui sont des sources importantes de N2O dans la région boréale et en Antarctique.»

Et bien que les rejets d'oxyde nitreux à partir du pergélisol paraissent minimes à première vue, ils risquent d’augmenter considérablement avec le réchauffement climatique.

«Déjà, le réchauffement a provoqué un déclin de l’étendue des glaces de mer et des couverts neigeux du printemps dans les cercles polaires et les hautes terres, attribuable à une augmentation de la température moyenne de 0,29 ºC depuis 2007», souligne Carolina Voigt. 

Or, avec une hausse de 2,6 ºC anticipée par les experts du climat, les modèles prédisent une perte de 52 % de l’ensemble du pergélisol d’ici l’an 2100, ce qui entraînera des émissions d’oxyde nitreux encore inconnues mais inquiétantes. 

Il importe de rappeler que, sur un horizon de 100 ans, ce gaz à effet de serre renferme un potentiel de réchauffement qui est 300 fois plus grand que le dioxyde de carbone émis par les grandes industries, les véhicules à moteur et les régions du pergélisol.

Un potentiel d’émission qui reste à préciser

La synthèse, à laquelle a contribué le professeur de géographie Oliver Sonnentag, de l’UdeM, décrit aussi le cycle d’azote souterrain dans les régions du pergélisol. De même, elle examine les conditions environnementales qui influencent la dynamique du N2O, dont les changements climatiques et les évènements météorologiques qu’ils causent.

Si le dégel du pergélisol risque de se traduire par de fortes émissions d’oxyde nitreux, Carolina Voigt et Oliver Sonnentag soutiennent qu’il reste à les quantifier de façon plus précise.

«Notre analyse montre que l’oxyde nitreux, en plus du dioxyde de carbone et du méthane, doit également être pris en compte dans les bilans de gaz à effet de serre lors de l'évaluation de la rétroaction entre les sols gelés en permanence et l'atmosphère», concluent-ils.

Pour ce faire, il faut davantage d’installations capables de mesurer les flux de N2O entre la surface terrestre et l’atmosphère et, surtout, plus de recherches pour en évaluer l’ampleur pour l’ensemble des régions du pergélisol.

Différents animaux d'Afrique.

Une équipe internationale dirigée par une chercheuse de l’UdeM publie les conclusions d’une étude sur l’histoire biogéographique de l’Afrique subsaharienne.

Il faut tenir compte de l’état des écosystèmes matures avant de lancer des plans de reboisement massifs en Afrique subsaharienne. C’est la recommandation de la géoécologue Julie Aleman, chercheuse invitée au Département de géographie de l’Université de Montréal, en marge de la publication, cette semaine, d’une importante étude sur les biomes africains dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

«Les biomes de la région que nous avons étudiée, et qui comprend les pays au sud du Sahara, sont répartis en deux types assez distincts: la savane à environ 70 % et la forêt tropicale pour le reste. Quand nous analysons les ensembles d’espèces d’arbres qui les composent, nous constatons qu’ils sont extrêmement différents. De plus, en regardant attentivement l’histoire de ces biomes, nous réalisons qu’ils sont assez stables depuis 2000 ans. Reboiser avec des essences de forêt tropicale des zones qui sont plutôt associées à des savanes serait donc une erreur», explique-t-elle à quelques jours de la publication de l’article scientifique.

Sans vouloir montrer du doigt les pays qui pourraient commettre cette erreur, elle mentionne que des plans de reboisement prévoient la plantation de milliards d’arbres. Si l’intention est bonne, il faut éviter de créer artificiellement des forêts tropicales là où des savanes ont dominé durant plusieurs millénaires. De plus, le choix des essences est déterminant. Les acacias poussent davantage dans des milieux ouverts, alors que les celtis sont propres aux forêts. Dans certains cas, les plantations d’eucalyptus se sont avérées de véritables «catastrophes écologiques», selon Mme Aleman.

Reconstituer le passé

Le laboratoire de paléoécologie de l’UdeM, dirigé par Olivier Barquez, auquel elle est rattachée, a justement pour mission de reconstituer le passé des biomes. La collaboratrice principale de Mme Aleman, Adeline Fayolle, professeure à l’Université de Liège, en Belgique, a quant à elle assemblé les données floristiques (listes d’espèces d’arbres) de l’article. «Pour cela, nous avons procédé à une exploration de données à l’ancienne en ce sens que nous avons analysé une grande quantité de données existantes, publiées et parfois archivées dans des documents oubliés, sous la poussière, ainsi que des données acquises récemment sur le terrain pour tenter de comprendre l’histoire de la région», dit la coauteure de l’étude, signée également par une trentaine de chercheurs. Plusieurs collaborateurs viennent d’Afrique.

La grande force de l’étude est d’avoir tenu compte de données à la fois floristiques, environnementales et paléoécologiques. C’est ainsi qu’on a pu mieux comprendre le fonctionnement écologique des forêts et des savanes, par l’étude de 753 sites répartis dans les deux milieux. Les facteurs environnementaux qui agissent le plus sur ces milieux sont les précipitations et leur saisonnalité de même que la température.

Un des phénomènes les plus remarquables des savanes est la fréquence des perturbations qui les affectent. Les broussailles peuvent s’enflammer jusqu’à trois fois par an à certains endroits par exemple. Pour protéger la santé publique, il arrive que des gouvernements locaux veulent limiter ces incendies. Décisions légitimes, mais qui peuvent avoir des conséquences écologiques importantes car, la plupart du temps, les grands arbres ne sont pas atteints par les flammes et les cendres régénèrent le sol.

Milieux touchés

Les répercussions de l’activité humaine sont d’ailleurs visibles partout où les chercheuses ont mené leurs travaux, soit principalement en Tanzanie, au Congo et en République centrafricaine. Dans certains cas, des zones sont presque dénuées de faune.

Dès 2017, Julie Aleman tentait d’alerter l’opinion publique quant aux menaces qui pèsent sur les écosystèmes africains dans un article de The Conversation (Afrique). Bien qu’à ses yeux la situation ne soit pas désespérée, il faut cependant être prudent dans les interventions sur le terrain. Elle espère que son étude permettra d'approfondir la compréhension de la réalité biologique du continent africain. «Il s’agit d’une contribution plutôt théorique, mais je crois qu’on peut s’en inspirer pour alimenter les politiques de reboisement», conclut la chercheuse invitée de l’UdeM.

À propos de cette étude

L'article «Floristic evidence for alternative biome states in tropical Africa», par Julie Aleman et ses collaboratrices, a été publié le 27 octobre 2020 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.

Plante.

Fondé en 1920 par le frère Marie-Victorin, l’Institut botanique a permis la formation d’une première génération de chercheurs et la publication de la «Flore laurentienne».

«Au cours du dernier demi-siècle, la flore de l’Amérique a enfin été étudiée sérieusement; des territoires jusque-là fermés ont été explorés; d’innombrables espèces nouvelles ont été reconnues et la nomenclature a subi nombre de remaniements», écrit en 1914 Conrad Kirouac, alias le frère Marie-Victorin, dans Le Naturaliste canadien. Il est temps, dit-il, de produire une nouvelle «flore illustrée de la province de Québec». 

Paralysé par l’ampleur de la mission, il repousse pendant plusieurs années l’idée de réaliser lui-même cette tâche monumentale. Mais quand on lui offre la chaire de botanique de l’Université de Montréal, il saisit la chance de mettre en place une équipe capable de la mener à bien. Le 14 février 1920, l’Institut botanique voit le jour. «En septembre 1920, j’ouvrais le cours de botanique avec trois élèves, comme par hasard trois de mes confrères en religion», lance-t-il à l’occasion du 20anniversaire de la Société canadienne d’histoire naturelle, qu’il préside. Son discours s’intitule «L’Institut botanique: vingt ans au service de la science et du pays». 

Modeste à ses débuts, l’Institut botanique loge dans des locaux exigus et insalubres du premier édifice montréalais de l’Université Laval à Montréal, rue Saint-Denis, à quelques mètres de l’emplacement actuel de l’UQAM. L’année précédente, un incendie a ravagé une partie des locaux et l’on a déjà hâte de déménager dans un pavillon plus adéquat – ce qui ne se fera que deux décennies plus tard. 

Années héroïques 

Les premières années de l’Institut sont «héroïques», selon son fondateur, à qui l’on a «oublié de donner un laboratoire». «Ni local ni matériel! Comme seule richesse, du vent dans la voile! Les élèves s’asseyaient sur des boîtes vides, le professeur s’adossait au mur. Pas de cartes murales, pas de clichés, pas d’appareils.» 

Pourtant, cet institut est déjà «le terreau du premier véritable regroupement scientifique de langue française au Québec. Il permettra à de nombreux chercheurs de prendre leur envol et de former à leur tour une nouvelle génération de botanistes», commente l’historien des sciences Yves Gingras, diplômé de l’UdeM et professeur à l’UQAM depuis 1986. Sans l’Institut en milieu universitaire, pas de Flore laurentienne, précise-t-il. D’ailleurs, le frère Alexandre, qui se consacrera corps et âme à l’illustration du grand œuvre de Marie-Victorin, assiste au cours inaugural. L’année suivante, l’effectif étudiant double, puis connaît une progression constante. 

Les Contributions de l’Institut botanique de Montréal publient dès 1922 les résultats des travaux de recherche des membres du réseau. «C’est une publication moderne dans sa facture, car elle fonctionne sur le modèle de la révision par les pairs», explique le botaniste Luc Brouillet, qui s’est penché sur l’histoire de l’Institut dans le cadre des conférences publiques des Belles Soirées de l’UdeM. Il signale que le frère Marie-Victorin envoyait des centaines d’exemplaires des Contributions aux universités d’Amérique et d’Europe en échange de publications similaires. Ce système a permis d’alimenter la bibliothèque de l’Institut, qui deviendra l’une des plus riches du pays. 

Après la création de l’Association canadienne-française pour l’avancement des sciences en 1923, le frère Marie-Victorin multiplie les occasions d’échanges entre botanistes d’ici et d’ailleurs. Marcelle Gauvreau et Cécile Lanouette y côtoient Marcel Raymond, Roger Gauthier et d’autres chercheurs qui feront leur marque dans la discipline en plus des pionniers comme Jules Brunel, Jacques Rousseau et Marcel Cailloux. 

Au lancement de la Flore laurentienne, en 1935, les centaines de collaborateurs célèbrent un tournant dans l’évolution des sciences naturelles au Canada. «J’ai décidé dans mon for intérieur de transporter l’Institut botanique au Jardin plutôt qu’à la montagne, et toute mon énergie est pliée là-dessus, écrit le frère Marie-Victorin au printemps 1937 à un jeune homme parti étudier la botanique en France, Pierre Dansereau (1911-2011). Il y aura des batailles à livrer, mais je ne les redoute pas. Telle est ma détermination que nous bâtissions en vue de cela.» 

C’est le «meilleur coup de Marie-Victorin» à cette époque, estime Jacques Brisson, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal et l’un des artisans des fêtes du centenaire. «Le fait d’offrir aux chercheurs un accès à un immense site végétalisé permettra de mener des recherches in situ qui auraient été impensables rue Saint-Denis ou même sur le mont Royal», dit-il. Devenu doyen de la Faculté des sciences en 1956, Pierre Dansereau dirigera l’Institut botanique jusqu’en 1961, donnant un nouvel élan au groupe de chercheurs. 

L’Institut devient l’IRBV

Aujourd’hui encore, la décision de déménager l’Institut botanique dans l’est de Montréal est saluée quotidiennement. «C’est tellement merveilleux d’avoir pu s’intégrer à l’un des grands jardins botaniques du monde avec la possibilité d’y faire des recherches», mentionne Anne Bruneau. Invitée à donner une conférence sur place en 1992, elle est immédiatement séduite par l’Institut de recherche en biologie végétale (ou IRBV, le nouveau nom de l’Institut botanique datant de 1990), où elle sera embauchée trois ans plus tard comme professeure de sciences biologiques. 

Elle fonde le Centre sur la biodiversité en 2011. Il s’agit en quelque sorte d’un prolongement de l’œuvre du frère Marie-Victorin, puisqu’on y accueille les collections biologiques majeures de l’UdeM, dont l’Herbier Marie-Victorin. Avec plus de 634 640 spécimens, celui-ci figure au quatrième rang parmi les herbiers canadiens. 

L’IRBV compte plus de 300 personnes – chercheurs, étudiants, stagiaires postdoctoraux, personnels de recherche et administratif – qui offrent un environnement de travail unique au Canada.  

Le frère Marie-Victorin, second diplômé du doctorat ès sciences de l’UdeM 

«Doctorat ès sciences (après soutenance de thèse): Poitevin (Eugène); le R.F. Marie-Victorin, des É. C., avec la plus grande distinction», dit l’annuaire de l’année 1922-1923 de l’Université de Montréal. Le 23 mai 1922, La Presse fait état de la soutenance de thèse du botaniste Marie-Victorin portant sur les filicinées du Québec, le nom scientifique des fougères. La thèse sera publiée en 1923 dans les Contributions de l’Institut botanique de Montréal. 

L’autre docteur ès sciences, Eugène Poitevin (1888-1978), était diplômé de l’École Polytechnique. 

Dragons barbus («Pogona vitticeps»), un saurien venu d’Océanie qui s’adapte bien à la captivité.

Les reins des reptiles pourraient être des indicateurs des changements climatiques. En étant soumis à la sécheresse et à des températures excessives, certains lézards développeraient une insuffisance rénale. «Ce sont des animaux qui adaptent leur température corporelle à celle de l’environnement et ils sont donc sujets aux variations de température et d’humidité», explique Claire Grosset, professeure à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Depuis 12 ans, la jeune femme se spécialise dans les soins et l’étude des animaux exotiques. Un de ses projets de recherche vient de se voir attribuer une subvention de 132 000 $ sur cinq ans du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, incluant une somme accordée dans le cadre d’un programme de soutien aux jeunes chercheurs. Il porte sur la mise au point d’un dispositif peu invasif afin d’évaluer la fonction rénale chez les reptiles affectés par les changements climatiques. «Avec une simple prise de sang, nous pensons pouvoir évaluer la santé de l’animal, en lien avec le niveau de détérioration du milieu naturel», précise la Dre Grosset, qui occupe le poste de vétérinaire en chef de l’Aquarium du Québec.

Une étude préliminaire, déjà entamée, porte sur une colonie de dragons barbus (Pogona vitticeps), un saurien venu d’Océanie qui s’adapte bien à la captivité. On applique une méthode de diagnostic éprouvée chez les oiseaux, mais qui n’avait jamais été tentée sur cette classe d’animaux.

Même si le dragon barbu est un lézard qui vit en milieu désertique en Australie, on pense qu’un tel test pourrait être applicable dans d’autres écosystèmes. «Rien n’empêche que notre méthode puisse être utilisée auprès des tortues des bois ou des tortues peintes, qu’on rencontre à l’état sauvage au Québec», ajoute la chercheuse. 

Les zoos, arches de Noé

En plus de ses responsabilités universitaires, Claire Grosset veille aux soins des morses, des ours polaires et des poissons et crustacés marins de l’Aquarium du Québec. Elle souligne que les établissements zoologiques – il y en a plusieurs milliers dans le monde – font œuvre utile en matière de conservation. «Certaines espèces qui ont frisé la disparition ont été réintroduites dans leur écosystème réhabilité grâce aux soins prodigués dans les zoos», fait-elle valoir, mentionnant le sphénodon, en Nouvelle‑Zélande.

Même si sa charge de travail à ce titre est surtout d’ordre clinique, elle profite de la proximité de cette collection vivante pour mener différentes recherches. Un de ses projets porte sur le bar rayé, un poisson commun dans l’estuaire du Saint-Laurent. Ces travaux font progresser les connaissances en médecine vétérinaire, souvent limitée dans l’esprit de la population aux chiens et aux chats.

Comme elle l’écrit avec deux autres auteurs dans un article paru dans la revue Veterinary Clinics of North America: Exotic Animal Practice, la médecine vétérinaire a beaucoup progressé depuis 10 ans en matière d’animaux exotiques. «De nouvelles technologies sont en cours d'élaboration pour faciliter la détection ciblée des métabolites par les vétérinaires. Des techniques nouvelles, des biomarqueurs et des changements cliniques liés à la maladie ont été décrits chez des espèces aviaires, des mammifères, des poissons, des reptiles et des amphibiens.»

Passion reptiles

Le poste de professeure spécialisée en médecine zoologique semble fait sur mesure pour la Dre Grosset, originaire de France. Dès l’école vétérinaire, elle a observé avec fascination le développement des reptiles. Après avoir terminé sa formation vétérinaire dans son pays d’origine en 2008, elle effectue un internat en médecine zoologique à l’Université de Montréal, puis une résidence en médecine et chirurgie des animaux exotiques de compagnie à l’Université de Californie à Davis, aux États-Unis. Elle travaille depuis 2015 à Saint‑Hyacinthe, en collaboration avec son prédécesseur, le DStéphane Lair, professeur en santé de la faune.

Elle a signé plus de 50 articles dans des revues scientifiques sur des thèmes aussi variés que les soins aux morses, les effets des radiations sur les animaux vertébrés, les fractures des oiseaux de proie et les tumeurs chez le rat de compagnie. Elle a reçu au passage plusieurs prix pour la qualité de son travail, dont le plus récent (2019) de l’Association of Avian Veterinarians. Ce prix souligne sa «contribution exceptionnelle et son engagement à faire progresser le bien-être et la préservation des oiseaux».

La prêle des champs.

Parmi les éléments essentiels à la croissance des plantes, le silicium ‒ ou Si, le nom savant du bon vieux sable ‒ arrive en fin de liste. «En général, il est peu abondant dans les tissus de végétaux, sauf chez certaines espèces, qui l’accumulent dans leurs feuilles comme protection contre les herbivores. Pour ces derniers, c’est un peu comme s’ils croquaient du sable dans leur salade», illustre Étienne Laliberté, professeur au Département de sciences biologiques de l’Université de Montréal, qui publie dans Science, cette semaine, un article qui fait la lumière sur un aspect méconnu de cette relation complexe entre les plantes et le silicium. Le premier auteur est un étudiant au doctorat de l’Université de Liège, en Belgique, Félix De Tombeur, et les coauteurs viennent du Panama, d’Australie et de France.

Un vieux débat subsiste sur le rôle des plantes dans le cycle du silicium. Traditionnellement, les plantes n’étaient pas considérées comme importantes dans le recyclage de cet élément. Or, les résultats des chercheurs montrent que «la rétention du silicium par les plantes pendant la rétrogression de l'écosystème soutient son cycle terrestre». En d’autres termes, les plantes qui savent manger du sable permettent de conserver cet élément dans les sols.

C’est sur les côtes occidentales d’Australie, près de Perth, que les observations ont été faites grâce aux travaux qu’Étienne Laliberté et son équipe mènent sur place depuis 10 ans. «La région a une particularité géologique: elle n’a pas subi de glaciations depuis des millions d’années et le climat y a été relativement stable. Le sol qu’on y voit en surface est parmi les plus anciens de la planète», explique-t-il.

Sol pauvre et grande biodiversité

Une partie de l’histoire géologique et biologique du monde se déroule sous les pieds des chercheurs à cet endroit, car des sols plus récents ont aussi été déposés au cours des derniers millénaires, de sorte qu’on trouve des sols «bébés», «adolescents», «adultes» et «vieux» sur quelques kilomètres à l’intérieur. Par comparaison, au Canada, les sols sont au stade de la petite enfance, même si le sous-sol (surnommé Bouclier canadien) est parmi les plus vieux du globe.

Ce qui frappe l’observateur qui met les pieds dans cet écosystème océanien, c’est la richesse de la biodiversité végétale. La végétation, principalement arbustive, est un peu comme une forêt tropicale miniature. N’y a-t-il pas un paradoxe apparent dans une région reconnue pour son sol peu fertile? «En effet. La grande différence, c’est le temps. À cet endroit, il n’y a pas eu d’extinctions massives dues aux glaciations pendant le Pléistocène. La nature a mis dans certains cas des millions d’années à évoluer dans ce milieu exceptionnellement stable. Ce qu’on y découvre est donc le résultat d’une longue période d’adaptation.»

Le silicium est l’élément le plus abondant de la croûte terrestre après l’oxygène. Il entre dans la composition du plancton, qui l’absorbe pour en faire son squelette, mais peu d’organismes vivants en font leur régime principal. Chez les plantes, la prêle des champs, qu’on trouve au Québec, est une des exceptions notoires.

En Australie, Félix De Tombeur a patiemment amassé des échantillons foliaires sur cinq sols d’âges différents et analysé leur composition chimique. C’est ce qui lui a permis de mieux comprendre un phénomène étonnant. Alors que, dans les jeunes sols, les plantes ne jouent pas un rôle majeur dans le recyclage du silicium, dans les vieux sols infertiles, les plantes l’accumulent dans leurs feuilles sous des formes solubles, ayant ainsi une fonction clé dans le cycle. L’étude montre que les processus biotiques sont importants, par opposition à la théorie abiotique, mais que cela dépend de l’âge des sols. «Sans clore le débat, notre article démontre qu’il y a un peu des deux hypothèses dans l’explication scientifique», conclut Étienne Laliberté.

Des champignons et des bactéries alliés dans la production du bleuet sauvage

Champs de bleuets.

Des chercheurs de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’UdeM ont découvert que des champignons et des bactéries spécifiques semblent liés au bon développement du bleuet sauvage.

Le frère Marie-Victorin disait du bleuet sauvage indigène du Québec qu’il était le «bleuet des roches acides ombragées» pour illustrer à quel point Vaccinium angustifolium ‒ son nom latin ‒ pousse, vit et se multiplie dans des environnements difficiles, voire hostiles. 

Membre de la famille des éricacées, ce bleuet sauvage abonde en effet sur des sols acides pauvres en nutriments. Comment expliquer ce phénomène? 

Depuis longtemps, les chercheurs soupçonnent que la capacité d’adaptation de Vaccinium angustifolium repose sur la présence de champignons dans le sol qui contribuent à le nourrir. Cependant, très peu d’études ont été effectuées pour décrire l’écologie microbienne du bleuetier sauvage sur ses terres. 

Le doctorant Simon Morvan et le professeur Mohamed Hijri, de l’Institut de recherche en biologie végétale de l’Université de Montréal, ont donc entrepris d’en caractériser le microbiote à partir de 45 échantillons de sol prélevés autour des racines de bleuetiers dans trois bleuetières commerciales situées au Saguenay.

Des bactéries pourvoyeuses d’azote

Les chercheurs ont extrait l’ADN des échantillons de sol et ont amplifié des marqueurs de l’ADN bactérien et fongique pour permettre de les identifier. Après avoir comparé ces séquences d’ADN avec celles des bases de données taxinomiques, ils ont constaté que les champignons les plus abondants dans le sol appartiennent à l’ordre des Helotiales, qui regroupent de nombreuses espèces de champignons mycorhiziens éricoïdes. Ces champignons produisent des enzymes qui dégradent la matière organique et fournissent ainsi une source de nutriments aux bleuetiers. 

«Plus important, nous avons découvert la présence de bactéries de l’ordre des Rhizobiales, connues pour leur capacité à fixer l’azote. Ces résultats indiquent que les bleuetiers peuvent avoir accès à une source additionnelle de nutriments par l’entremise de l’azote atmosphérique, commente le professeur Hijri. Cette caractéristique était connue pour les légumineuses, mais pas pour les bleuetiers.»

Une importante symbiose

Selon les auteurs de l’étude, la capacité des bleuetiers sauvages à s'adapter à leur environnement semble ainsi étroitement liée à leur symbiose avec les champignons mycorhiziens éricoïdes et à la présence de bactéries Rhizobiales fixatrices d’azote. Cette hypothèse s’appuie sur les corrélations positives établies entre certaines espèces de ces deux groupes et le taux d’azote foliaire des bleuetiers relevé lors de l’échantillonnage.  

Cette caractérisation des sols sur lesquels pousse Vaccinium angustifolium est importante, car «on ne peut planter cet arbuste: la seule façon de le cultiver consiste à aménager l’environnement pour lui permettre de pousser et de se reproduire», rappellent Mohamed Hijri et Simon Morvan.  

En menant d’autres projets de recherche sur le sujet, les chercheurs espèrent contribuer à l’élaboration de produits biostimulants qui amélioreront le rendement des champs de bleuets sauvages.  

«Mettre au point un tel produit est complexe, car il implique l’implantation d’organismes vivants dans le sol où il y a déjà une présence microbienne, mais c’est la voie pour l’avenir de l’agriculture en général: moins de chimique et plus de bio!» concluent les deux chercheurs.

Une espèce abondante au Québec!

Vaccinium angustifolium et son cousin Vaccinium myrtilloides sont les deux espèces de bleuetiers sauvages les plus abondants au Canada, qui est le plus grand producteur et exportateur de cette petite baie prisée dont la valeur d’exportation était de 238,8 M$ en 2019, selon les données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. À lui seul, le Québec exploite le bleuet sur 35 579 hectares, dont plus de 80 % de cette superficie se trouve dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean.  

Les vagues de chaleurs estivales mettent les réserves d’eau des Alpes sous pression

Personne en parachute dans les Alpes. Occupant un territoire de plus de 260 000 km2, les Alpes alimentent en eau les rivières qui permettent d’abreuver quelque 170 millions de personnes en Europe.

Les vagues de chaleur des dernières années diminuent l’approvisionnement en eau de surface dans les Alpes européennes, selon une étude à laquelle a pris part Christoforos Pappas, de l’UdeM.

En Europe, les vagues de chaleur, qui sont de plus en plus fréquentes, profitent à la végétation située en haute altitude dans les Alpes. Or, cette croissance végétale inhabituelle ‒ qui pourrait devenir plus commune avec les changements climatiques ‒ risque de détourner une partie de l’eau devant cheminer de rus en ruisseaux jusque vers les rivières en aval.

En effet, une étude de modélisation à grande échelle, à laquelle a pris part le postdoctorant Christoforos Pappas, du Département de géographie de l’Université de Montréal, confirme le «paradoxe de la sécheresse», selon lequel durant les périodes de sécheresse les plantes utilisent plus d’eau malgré des précipitations peu abondantes.

Rédigée par le chercheur Theodoros Mastrotheodoros, l’étude a été réalisée sous la conduite de Simone Fatichi, de l’École polytechnique fédérale de Zurich. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Climate Change.

Des canicules qui profitent aux plantes, au détriment de l’équilibre hydrique

Occupant un territoire de plus de 260 000 km2, les Alpes alimentent en eau les rivières qui permettent d’abreuver quelque 170 millions de personnes en Europe.

Mais le ruissellement de l’eau du massif montagneux vers les rivières pourrait être réduit considérablement si le nombre et la fréquence des canicules en Europe s’accentuent et si la végétation continue d’utiliser davantage d’eau.

C’est que les canicules profitent à la végétation en haute altitude: comme elles favorisent la croissance de ces plantes qui ont alors besoin de plus d’eau, elles réduisent du coup le flux d’eau de ruissellement qui percole d’ordinaire jusqu’aux rivières.

Et en captant plus d’eau et d’humidité dans le sol et dans l’air, la végétation accroît le phénomène d’évapotranspiration ‒ soit la quantité d'eau transférée sous forme gazeuse vers l'atmosphère par l'évaporation au niveau du sol et par la transpiration des plantes.

Les chercheurs savaient que l’évapotranspiration était plus marquée en certains endroits dans les Alpes, mais l’équipe de Simone Fatichi est parvenue à quantifier le phénomène pour l’ensemble de la région alpine.

Une modélisation à haute résolution sur une énorme superficie

Pour ce faire, les chercheurs ont combiné les données recueillies par 1212 stations météorologiques réparties dans les Alpes sur une superficie de 257 000 km2, aux flux aquifères des rivières en aval, de 2001 à 2003.

«Le modèle numérique évolué auquel nous avons eu recours a permis d’obtenir une modélisation spatiale ultraprécise et à haute résolution des flux d’eau sur l’ensemble du territoire alpin», explique Christoforos Pappas.

Ainsi, les résultats de la simulation indiquent que, dans les zones montagneuses boisées situées entre 1300 et 3000 m d'altitude, les taux d'évapotranspiration étaient supérieurs à la moyenne dans de grandes parties des Alpes lors de la canicule de 2003.

De même, la hausse de l’évapotranspiration observée aux altitudes au-delà de 1300 m a entraîné une diminution de 32 % du ruissellement de l’eau vers les rivières, comparativement à la moyenne des autres saisons estivales.

«En analysant les résultats de la simulation, nous avons évalué que l'effet sur le ruissellement d'une augmentation de 3 °C de la température ‒ qui est susceptible de survenir d’ici la fin du siècle ‒ équivalait à une baisse de 3 % des précipitations, ce qui signifie qu'une légère diminution des précipitations peut avoir des conséquences sérieuses sur les ressources en eau», ajoute M. Pappas.

Il est à noter que, pour la seule saison estivale de 2003, le ruissellement d’eau a été 50 % moins important que la moyenne dans les Alpes. Parallèlement, les quantités de précipitations les plus basses ont été enregistrées de 1992 à 2008.

Des mesures à considérer dans le contexte des changements climatiques

«En fait, la température dans les Alpes augmente à un rythme accéléré: l’humidité diminue, l’évapotranspiration s’accroît, les glaciers fondent et la distribution des neiges se déplace vers des altitudes plus élevées, tandis que les températures extrêmes deviennent de plus en plus fréquentes», note le postdoctorant de l’UdeM.

Effectivement, les périodes de très grande chaleur ont été plus nombreuses et leur fréquence s’est accrue: après 2003, l’Europe a connu des canicules en 2010, en 2015, puis en 2018.

«Notre étude est importante, car, pour la première fois, on démontre par une modélisation à grande échelle l’effet potentiel des changements climatiques sur l’ensemble des ressources en eau des Alpes, conclut Christoforos Pappas. Dans un avenir proche, des épisodes comme la sécheresse de 2003 pourraient ne plus être classés comme extrêmes.» 

 

Harfang des neiges blanches volant au-dessus de la neige.

Alors que GEO BON déménage son siège social au Québec, l'écologiste Timothée Poisot, de l'UdeM, explique ce que cela signifie pour l'Université, ses partenaires et la science en général.

L'observatoire international de la biodiversité GEO BON (acronyme de Group on Earth Observations – Biodiversity Observation Network) ‒ un réseau de près de 1000 chercheurs venant de plus de 550 organisations et de 90 pays ‒ a annoncé aujourd'hui qu'il déménageait son siège social de Leipzig, en Allemagne, au Québec. Le déménagement est déjà en cours et les activités de l'observatoire seront entièrement transférées cet automne au Centre de la science de la biodiversité du Québec, avec une demi-douzaine de nouveaux employés au campus MIL de l'Université de Montréal, à l'Université McGill et à l'Université de Sherbrooke. L'UdeM est un partenaire clé de cet effort, notamment par le biais du Laboratoire d'écologie quantitative et informatique de son département de sciences biologiques. Nous avons demandé au professeur Timothée Poisot, qui dirige le Laboratoire, ce que ce déménagement implique pour lui et les autres chercheurs ici, et pour les progrès en matière de protection de la biodiversité à l'échelle mondiale.

La mission de GEO BON est d’aider à fournir les données les plus précises afin que les décideurs puissent prévenir la perte non durable de la biodiversité dans le monde. Quel sera votre rôle dans ce cadre?

La collecte de données sur la biodiversité est difficile, car elle représente un travail très coûteux et parce que la planète Terre est vaste! Pour nous assurer que nous utilisons ces données au mieux et simuler celles qui sont manquantes, nous devons avoir de puissants outils quantitatifs. Les recherches de mon laboratoire portent sur de nouvelles façons d'utiliser l'apprentissage machine pour automatiser le suivi des tendances de la biodiversité dans le temps et l'espace. Par exemple, nous employons des réseaux neuronaux convolutifs pour reconnaître des animaux dans des images et des communautés d'oiseaux dans des enregistrements audio à une échelle qui ne peut être reproduite par échantillonnage. Même si la biodiversité est en déclin, il y a encore trop de plantes, de microbes, d'oiseaux et autres êtres vivants ‒ pour l'instant! ‒ pour que nous puissions tous les compter. Nous devons recourir à des approches différentes et l'apprentissage machine est actuellement l’outil le plus prometteur dont nous disposons. En ayant GEO BON plus près de nous qu'auparavant, nous pourrons fournir ces résultats aux parties prenantes de manière plus systématique et contribuer à établir les meilleures pratiques sur la scène internationale.

Deux autres universités québécoises ‒ McGill et Sherbrooke ‒ sont partenaires de GEO BON, et vous continuerez à collaborer avec elles. Comment votre travail complète-t-il celui de vos collègues et dans quels domaines?

Chaque université partenaire apporte des compétences uniques. Nous, nous avons de nombreuses années d'expérience dans les avis et conseils donnés aux gouvernements municipal, local, provincial et fédéral sur les questions de biodiversité. Ma participation consistera à jeter des ponts entre le monde de la biodiversité et celui de la science des données, et à guider le groupe informatique du secrétariat de GEO BON afin que ses efforts produisent un maximum d'avantages pour la surveillance de la biodiversité.

On dit que la prochaine décennie sera cruciale pour réduire la perte de biodiversité. Quelle est l'urgence pour les décideurs politiques de disposer des meilleurs outils pour contrer l'extinction des espèces et la dégradation des écosystèmes?

La perte de biodiversité s'accélère; notre monde change et probablement beaucoup plus vite que nous pouvons le documenter. Si la perte de biodiversité est une raison de s’inquiéter, elle est surtout une raison d'agir. GEO BON, de par sa conception, est une interface science-politique. En ajoutant des outils de l'apprentissage machine à la boîte à outils des sciences de la biodiversité, nous nous assurons de pouvoir fournir aux parties prenantes les meilleures indications sur l'état, et les futurs possibles, de la biodiversité. Ce besoin est également exacerbé dans le Sud; c'est pourquoi le partenaire principal du secrétariat de GEO BON est l'Institut de recherche sur les ressources biologiques Alexander von Humboldt en Colombie. Nous travaillons avec lui pour concevoir des outils de calcul qui peuvent permettre à de nouveaux pays de mettre en place des réseaux d'observation de la biodiversité. Nous offrons également des stages internationaux de troisième cycle à des écologistes colombiens dans mon laboratoire de l'Université de Montréal afin qu'ils puissent recevoir une formation de base en science des données.

La variété de la vie animale, végétale et microbienne sur la planète est en diminution. Où les besoins en données précises sont-ils les plus importants actuellement et quelles sont les réussites passées qui peuvent aider à orienter les progrès à l'avenir?

C'est la question qui me tient éveillé la nuit! Nous nous soucions de la biodiversité à la fois pour elle-même et pour son importance dans le bien-être de l'humain. Dans cette optique, il est essentiel de renforcer les capacités de collecte des données et d’en recueillir dans les zones qui seront le plus fortement touchées par le changement climatique. Nous avons besoin de protéines pour survivre, et l'accès aux protéines nécessite des systèmes de pêche durable, des agroécosystèmes diversifiés et une myriade d'autres facteurs qui concernent tous des communautés biodiversifiées. La biodiversité protège également contre les maladies, stabilise les sols contre l'érosion, peut contribuer à la décontamination ‒ et le simple fait de voir un oiseau coloré nous rend heureux! Les raisons et les motivations qui poussent à protéger la biodiversité sont aussi diverses que le monde naturel lui-même. Il existe des milliers d'exemples de réussites dans différents biomes, à différentes époques et à différentes échelles; en déployant un effort international, GEO BON peut les combiner et désigner les meilleures pratiques réalisables pour un avenir durable.

Enfin, comment les leçons apprises grâce à GEO BON peuvent-elles améliorer la protection de la biodiversité à l’échelon local, ici au Québec?

En fait, c'est parce que nous avons beaucoup appris sur la biodiversité au Québec que GEO BON sera désormais hébergé ici. Le Centre de la science de la biodiversité du Québec a beaucoup travaillé pour aider le gouvernement provincial dans ses plans relatifs à la biodiversité et à la durabilité, et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a été un partenaire inestimable dans l’élaboration de ces idées. En effectuant ce travail, nous avons eu envie de l'étendre à l'échelle internationale, avec un mandat clair: faire la meilleure recherche fondamentale possible, l'élever avec des outils de la science des données et établir un dialogue avec les parties prenantes pour s'assurer que notre travail est utile. Plus précisément, le Québec bénéficiera des améliorations que nous apportons à la surveillance de la biodiversité et sera mieux placé pour prendre des décisions politiques fondées sur des données probantes. Un avantage moins tangible est que GEO BON contribuera à construire le meilleur environnement de formation au monde pour les jeunes écologistes. En plus de notre longue tradition d'histoire naturelle, nous offrirons des possibilités de s'engager dans l'apprentissage machine et sa pertinence croissante pour le monde politique.

 

Un glucomètre pour analyser le sucre du sang des abeilles parasitées par une mite

Venue d’Asie il y a 25 ans, la mite «Varroa destructor», ici fixée sur le thorax de l’abeille, est le parasite le plus dévastateur pour les colonies d’abeilles de l’est du Canada.

Au cours des 30 dernières années, le taux de mortalité mondial des abeilles a augmenté avec l’utilisation de pesticides, la modernisation agricole, le manque de biodiversité florale et, plus particulièrement, divers parasites et maladies.

L’un de ces parasites ‒ le bien nommé Varroa destructor ‒ est le plus dévastateur pour les colonies situées à l’est du pays: depuis 2007, l’Association canadienne des professionnels de l’apiculture observe un accroissement du nombre de colonies d’abeilles décimées; à l’hiver 2018-2019, plus du quart (25,7 %) d’entre elles ont disparu au pays.

Pour l’heure, la communauté scientifique sait que la mite Varroa destructor pond ses œufs dans les alvéoles contenant les œufs d’abeilles pour se nourrir des nymphes tout au long de sa croissance. On ignore toutefois ce que la mite absorbe exactement et quel en est l’effet précis sur les abeilles une fois devenues adultes.

C’est ce que tente de découvrir l’étudiant à la maîtrise Antoine Cournoyer, sous la codirection de la pathologiste Marie-Odile Benoit-Biancamano et du vétérinaire apicole Pascal Dubreuil, tous deux professeurs à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. Financée par le programme Innov’Action agroalimentaire du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, l’étude est réalisée en collaboration avec la Dre Annie Deschamps, pathologiste clinique à la Faculté de médecine vétérinaire.

Un cycle de reproduction associé à celui de l’abeille

Pour survivre pendant les sept ou huit mois au cours desquels elles hibernent, les abeilles ont besoin d’être en parfaite santé et d'avoir une grande réserve d’énergie ‒ faite de graisses et de sucres ‒ pour produire de la chaleur dans la ruche.

Or, la mite Varroa destructor a un cycle de reproduction associé à celui de l’abeille: elle se reproduit dans les larves de la ruche et ses œufs croissent en même temps que les jeunes abeilles.

«En se nourrissant de leurs hôtes, les mites peuvent transmettre des virus aux jeunes abeilles, qui subissent du même coup une diminution de poids et, possiblement, de leur réserve de graisses et de certains constituants du sang, explique Antoine Cournoyer. Dès leur naissance, les abeilles parasitées sont affaiblies et leurs chances de survivre à l’hiver suivant sont diminuées.»

Un glucomètre à la rescousse

Pour vérifier si l’infestation par Varroa destructor altère la quantité et la qualité des corps graisseux, des hémocytes (cellules du système immunitaire) et des sucres en circulation dans le sang des abeilles, l’équipe de chercheurs et chercheuses réalisera une étude comparative à partir de six ruches constituées d’abeilles saines et de six autres ruches habitées par des abeilles infestées par le parasite.

L’expérience sera donc en partie menée au Centre de recherche en sciences animales de Deschambault, qui abrite de nombreux ruchers. (À noter qu’une ruche saine peut abriter de 40 000 à 80 000 abeilles!)

Après avoir extrait le liquide corporel des deux types d’abeilles, l'équipe en analysera les éléments, notamment à l’aide d’un glucomètre portatif dont se servent les personnes diabétiques pour mesurer leur taux de sucre dans le sang.

«La quantité et la composition de l’hémolymphe [le sang de l’abeille] seront étudiées afin de vérifier si l’infestation par Varroa destructor amène des variations notables des différents sucres et cellules en circulation, ajoute Antoine Cournoyer. Nous évaluerons la capacité du glucomètre portatif à devenir un outil pratique pour les vétérinaires, les chercheurs et même les apiculteurs sur le terrain afin de déceler les effets néfastes du parasite.» 

De plus, une analyse au microscope des corps graisseux des abeilles infestées sera comparée avec celle des mêmes substances chez les abeilles saines.

Des avancées scientifiques et pratiques

Pour l’heure, il existe quelques traitements commerciaux pour limiter les infestations attribuables à Varroa destructor, et le Dr Dubreuil étudie l’efficacité d’autres types de traitements.

«Le partage des résultats de notre projet de recherche favorisera l’avancement des connaissances sur la physiologie des abeilles ainsi qu’une meilleure compréhension des répercussions biologiques du parasite, conclut Marie-Odile Benoit-Biancamano. Nous espérons qu’il permettra aussi une meilleure gestion des colonies en minimisant les taux d’infestation et, indirectement, qu'il contribuera à l’amélioration de la qualité des produits dérivés et à la rentabilité des cultures.»

Un rôle économique important

Selon les plus récentes statistiques, le Canada comptait plus de 9800 apiculteurs et 750 000 ruches en 2016, qui ont entraîné des ventes de produits évaluées à près de 160 M$. Plus encore, Agriculture et Agroalimentaire Canada estime que la valeur pollinisatrice directe et indirecte des apiculteurs et leurs abeilles procure à l’industrie agroalimentaire des retombées de 4 à 5,5 G$ annuellement.

La pollution industrielle augmente le risque d’asthme chez les jeunes enfants

Grosse fumée d'une industrie.

Les polluants émis dans l’air par les industries du Québec augmentent le risque d'asthme chez les enfants en bas âge, selon une étude menée par des chercheurs de l’UdeM.

Plus les enfants en bas âge sont exposés à la pollution atmosphérique engendrée par les industries, plus ils sont à risque de recevoir un diagnostic d’asthme. C’est ce qui ressort d’une étude publiée dans la revue Environmental Research, qui associe l’exposition aux émissions industrielles des 722 667 enfants nés au Québec entre 2002 et 2011 et leur lieu de résidence.

Cette étude, qui est la première à quantifier l’association entre l’asthme infantile et la pollution industrielle à partir d’une cohorte populationnelle, a été réalisée par Stéphane Buteau et Audrey Smargiassi, professeurs à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Exposition aux émissions industrielles et asthme

À partir des codes postaux, les chercheurs ont pu déterminer le degré d’exposition en fonction du lieu de résidence des enfants pour trois principaux polluants atmosphériques émis par les industries:

  • les particules fines (PM2,5 pour particulate matter 2.5), dont le diamètre aérodynamique est inférieur ou égal à 2,5 micromètres (μm);
  • le dioxyde d’azote (NO2);
  • et le dioxyde de soufre (SO2) ou anhydride sulfureux, souvent perceptible à son odeur d'allumette brûlée.

Les concentrations ambiantes de polluants attribuables aux émissions industrielles ont été estimées d’après une modélisation de la dispersion atmosphérique qui tient compte notamment des quantités de polluants rejetées dans l’atmosphère par les industries, des données topographiques et météorologiques pour l’ensemble du Québec durant la période étudiée.

À partir de ce modèle, l'exposition aux émissions industrielles a été estimée de façon annuelle pour chacun des codes postaux du Québec, tant en milieu urbain qu’en milieu rural.

Parallèlement, les données du Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec ont permis de désigner les enfants de la cohorte qui avaient reçu un diagnostic d’asthme.

Jusqu'à 30 % d'augmentation moyenne du risque

Au cours de la période de suivi de neuf ans, près de 66 600 enfants ont reçu un diagnostic d’asthme (soit 9,2 % de la cohorte) avant l’âge de quatre ans pour la grande majorité.

En couplant ces données de santé à celles obtenues par la modélisation de la dispersion atmosphérique, les analyses épidémiologiques réalisées par les chercheurs ont montré que le risque d’être atteint d’asthme infantile s’accroît de façon significative avec l’augmentation de l’exposition aux polluants atmosphériques émis par les industries.

Fait intéressant, les résultats indiquent que le risque d'apparition de l'asthme infantile augmente de façon constante jusqu’à des niveaux élevés, puis diminue.

Ainsi, par comparaison avec un enfant non exposé à la pollution industrielle, un enfant se situant dans le 25centile d’exposition annuelle (0,1 μg/m3 d’air pour les PM2,5, 0,6 μg/m3 pour le NO2 et 1,2 μg/m3 pour le SO2) aurait un risque moyen d’asthme accru de:

  • 18 % pour les PM2,5;
  • 13 % pour le NO2;
  • 18 % pour le SO2.

Or, un enfant se situant dans le 75centile d’exposition (0,2 μg/m3 pour les PM2,5, 0,8 μg/m3 pour le NO2 et 2,8 μg/m3 pour le SO2) aurait un risque d’asthme accru de:

  • 37 % pour les PM2,5;
  • 34 % pour le NO2;
  • 41 % pour le SO2.

«Ces hausses de risque portent spécifiquement sur la pollution industrielle, précise Stéphane Buteau. L’effet de facteurs de confusion tels que le sexe, l’âge et le statut socioéconomique ont été pris en compte. Même en considérant l’influence potentielle de la fumée secondaire de cigarette et du trafic routier, l’augmentation du risque demeure substantielle et significative.»

Le risque de souffrir d’asthme était à peu près le même en milieu urbain et en milieu rural.

«Nos résultats montrent qu’il n’y a pas de seuil d’exposition au-dessous duquel il n’y aurait pas de risque d’asthme chez les enfants: en d’autres mots, même de faibles émissions atmosphériques industrielles peuvent contribuer à l’apparition de l'asthme chez l'enfant, ajoute le chercheur. Plus encore, le risque est accru aux faibles expositions. Il importe donc de diminuer autant que possible les émissions industrielles au bénéfice de la santé publique.»

Suivre l’évolution de la pollution industrielle

Cette nouvelle étude consolide les résultats obtenus dans une précédente recherche menée par l’équipe de M. Buteau et de Mme Smargiassi et publiée en 2018. Les résultats avaient révélé une hausse du risque d’asthme infantile avec différents indicateurs d’exposition aux contaminants des industries, tels que la proximité de la résidence, la quantité des polluants rejetés par les industries à proximité de la résidence ainsi que la durée d’exposition de la résidence aux vents chargés de polluants industriels.

«Les recherches se concentrent principalement sur la pollution atmosphérique issue du trafic routier, mais les industries sont aussi une des principales sources de contaminants de l'air, conclut Stéphane Buteau. La cohérence entre les résultats de nos deux études met en évidence l'importance de mieux prendre en compte la pollution industrielle dans les futures recherches portant sur les effets de la pollution atmosphérique sur la santé des enfants et des populations.»

Et ces résultats soulignent par le fait même l’importance de l’innovation en matière de réduction des émissions industrielles.

La pollution fauche plus de vies que les virus

Femme avec masque attendant de traverser la rue en ville.

La pollution atmosphérique fait plus de victimes que le VIH, l'Ebola, la COVID-19 et toutes les guerres réunies, selon François Reeves, professeur à la Faculté de médecine de l'UdeM.

La pollution atmosphérique tue 15 000 personnes par an au pays, dont le quart au Québec, selon le plus récent rapport de Santé Canada. Environ 70 % de ces décès sont causés par des dysfonctionnements du système cardiovasculaire. Ce rapport démontre en outre que la pollution atmosphérique coûte 114 milliards de dollars en soins de santé et prestations d’invalidité. L’Organisation mondiale de la santé en a fait le «tueur numéro un» au monde avec une évaluation de sept millions de morts annuellement. Par comparaison, la COVID-19 vient de franchir le cap des 100 000 décès. 

En diminuant d’un coup l’usage des combustibles fossiles, la pollution atmosphérique est réduite également; l’air qu’on respire est de meilleure qualité, précise François Reeves, professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal et auteur de Planète cœur: santé cardiaque et environnement. La suspension des activités humaines pourrait ainsi sauver plus de vies que le coronavirus en aura fauchées. «C’est une hypothèse très vraisemblable même s’il faudra du temps avant de la vérifier», dit le chercheur et clinicien qui a développé depuis 20 ans une expertise en cardiologie environnementale. Ses publications l’ont mené à présenter plus de 300 conférences sur le sujet partout dans le monde.

Les principaux responsables de cette hécatombe annuelle sont les particules très fines, le dioxyde d'azote et l'ozone, qui se trouvent dans l’air qu’on respire. Ces éléments sont produits par la combustion des sources d’énergie fossile comme le diésel et l’essence. En plus de causer des problèmes respiratoires, ces polluants sont de plus en plus reconnus comme responsables des problèmes cardiovasculaires, qui diminuent fortement l’espérance de vie. «Quand une personne arrive aux urgences parce qu’elle a subi un arrêt cardiaque ou un accident vasculaire cérébral, le lien avec ce qu’elle a respiré dans sa vie n’est pas évident. C’est pourtant une réalité reconnue par les spécialistes: vous pouvez choisir de ne pas fumer, mais vous ne choisissez pas toujours l’air qui entre dans vos poumons!» explique le cardiologue.

Pollution et contamination

Il voit dans la crise du coronavirus une «expérimentation inattendue à l’échelle planétaire, notamment sur les émissions de polluants». Plus il y a d’activité polluante, plus il y a de morts liés à la qualité de l’air. À l’inverse, on note une diminution de la morbidité là où la pollution est en baisse, conséquence du confinement. En outre, une aggravation s’observe là où la pollution est plus élevée lorsqu’un pathogène s’attaque à la santé humaine. «Depuis qu’on étudie les effets du coronavirus, on remarque que ce sont les endroits les plus pollués qui comptent le plus de décès», résume le Dr Reeves. Il illustre son propos par des images satellites du nord de l’Italie, habituellement fort pollué, qui montrent une réduction notable du taux de dioxyde d’azote après le confinement.

La ville de New York, l’une des plus polluées d’Amérique du Nord, subit durement l’effet létal du coronavirus. Or, des chercheurs en santé publique de l’Université Harvard ont calculé qu’à chaque hausse de un microgramme par mètre cube de particules fines dans l’air est associée une augmentation de 15 % de la mortalité liée à la COVID-19 aux États-Unis. Deux possibilités sont évoquées pour expliquer ce phénomène: ou bien les habitants de ces zones ont des poumons affaiblis par la mauvaise qualité de l’air qu’ils respirent à longueur d’année, ou bien un haut taux de pollution favorise la contamination. «Peut-être est-ce une combinaison des deux», poursuit le Dr Reeves.

La Chine, qui a compté plusieurs milliers de victimes dès les premières semaines de l'épidémie, ne fait pas exception. À l’occasion d’une présentation à Beijing en 2013, le médecin a constaté que l’air qu’il respirait dans la rue contenait de 400 à 500 parties par million de particules fines; à Montréal, une alerte au smog est lancée quand ce taux dépasse 50!

Que doivent craindre les Montréalais? Le médecin se limite à dire que les personnes exposées aux contaminants dans l’air ‒ par exemple celles qui vivent à proximité de grands axes routiers ‒ pourraient être plus à risque d’être touchées par la COVID-19.

Espoir

François Reeves avoue être fasciné par l'efficacité du coronavirus. «C’est le prédateur parfait. Même s’il n’est pas aussi mortel que d’autres pathogènes, il a trouvé une méthode de propagation formidablement efficace. Avec une contagiosité planétaire fulgurante, très peu de communautés humaines semblent pouvoir lui échapper.»

Cet amateur d’arbres trouve un point de comparaison avec le frêne, qui lutte contre un envahisseur puissant. «L’humanité est un peu comme les frênes de nos latitudes: ce n’est qu’une question de temps avant que l’agrile les trouve. Avec cette différence que l’arbre ne peut pas pratiquer la distanciation sociale», indique le chercheur en riant.

Celui-ci note que, en forçant la baisse des principales émissions de polluants atmosphériques, la pandémie a permis à de nombreuses personnes non seulement de mieux respirer mais de redécouvrir le ciel. «En Inde, les gens ont redécouvert le sommet de l’Himalaya, qui avait disparu dans le smog. Ailleurs, ce sont les étoiles qui étaient soudainement visibles», relate-t-il.

Le confinement auquel sont contraintes des milliards de personnes peut être un incitatif à modifier nos habitudes de vie. «D’un coup, on a probablement atteint les cibles les plus audacieuses de réduction des gaz à effet de serre (GES) fixées par les conférences internationales sur le climat», mentionne le médecin.

La crise de la COVID-19 pourrait déboucher sur une amélioration significative de notre qualité de vie et une diminution des GES si nous nous tournons vers les énergies vertes. «Il faut saisir cette occasion pour modifier nos habitudes et mettre fin à la surutilisation des énergies fossiles.» 

 

Éléfants et gazelles près d'un cours d'eau et vue sur les montagnes.

Une partie des écosystèmes de l’Afrique est dans un état «catastrophique» selon Robert Kasisi, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Il faut s’attaquer à cette situation si l’on veut réduire les effets des changements climatiques. «On a beaucoup parlé de dérèglements climatiques au cours de la dernière décennie, mais on semble oublier que sans forêts, sans océans en santé, ce sont des puits de carbone importants qui ne jouent plus leur rôle de régulation dans les cycles biogéochimiques. En Afrique, ce problème est particulièrement criant», explique-t-il au terme d’une enquête de cinq ans sur les écosystèmes du continent africain pour le compte de l’Organisation des Nations unies.

À la tête d’une équipe de 10 chercheurs scientifiques de tous les coins du monde, il a codirigé avec Pierre Failler, du Royaume-Uni, le deuxième chapitre du «rapport Afrique» de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (mieux connue sous son abréviation anglaise IPBES, l’Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services; l’IPBES est aux écosystèmes ce que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou GIEC est aux changements climatiques).

«Nous avions pour mandat de dresser l’état des lieux sur le continent africain. C’est évidemment une tâche complexe en raison de la diversité des habitats, des questions démographiques et des systèmes politiques qu’on y rencontre. Mais notre rapport souligne quelques points importants comme la dégradation des forêts, à cause notamment des besoins en énergie des habitants, et la surpêche, qui menace de nombreuses espèces», mentionne le professeur Kasisi.

Des écosystèmes et des humains

Durant les travaux du groupe, qui se sont échelonnés de 2014 à 2018, l’accent a été mis sur les communautés humaines et leurs interactions avec la nature ainsi que les avantages qu’elles en retirent. Par exemple, 400 millions d'Africains dépendent du poisson comme source de protéines animales et plusieurs millions de personnes tirent de la pêche leur principale source de revenu. De plus, les paysages terrestres comptent beaucoup «pour les loisirs, la relaxation, la guérison, le tourisme axé sur la nature», sans parler du plaisir esthétique; l’écotourisme est d’ailleurs une importante source de revenu dans le nord, le sud et les parties orientales de l'Afrique, ainsi que dans les îles océaniques.

Toutefois, l’exploitation des ressources ne se fait pas toujours de façon durable, comme l’ont constaté les auteurs du rapport. «Les combustibles ligneux représentent 80 % de l'approvisionnement en énergie primaire de l'Afrique subsaharienne, où 90 % de la population dépend du bois de chauffage et du charbon de bois pour l'énergie, en particulier pour la cuisine, peut-on lire. La demande de charbon de bois est en croissance, ce qui pourrait avoir des effets négatifs sur la santé.»

Ce sujet a tendance à être sous-représenté dans les politiques, l’accent étant plutôt mis sur la nécessité d’avoir accès à des sources d’énergie telles que l’électricité et le kérosène. «Cette question de la gouvernance est capitale en Afrique. Plusieurs pays sont corrompus ou en conflit quasi permanent, ce qui rend la situation très difficile pour l’implantation du développement durable», confie le chercheur.

Pollinisateurs et espoir

Les principaux aliments des Africains ‒ viande de gibier, insectes, fruits frais, noix, graines, tubercules et légumes feuilles, huiles comestibles, boissons, épices, condiments, champignons, miel, édulcorants, tubercules sauvages et escargots, entre autres ‒ proviennent des forêts, des prairies, des zones humides et des plans d'eau. De plus, la médecine traditionnelle africaine s’appuie sur les ressources naturelles à la portée des guérisseurs. On peut facilement comprendre que la disparition des milieux naturels aura des répercussions majeures sur les populations.

Robert Kasisi donne l’exemple de la diminution notable des pollinisateurs, ces insectes qui sont des agents indispensables dans le cycle de production agricole. «C’est une grande préoccupation dans certains pays d’Asie, où l’on doit désormais procéder par pollinisation mécanique», déplore-t-il.

Malgré tout, le chercheur refuse de baisser les bras, car il a relevé de nombreuses initiatives prometteuses en développement durable, dont la création d’aires protégées. «Je demeure optimiste», clame-t-il en reprenant à son compte le titre d’un documentaire de Fernand Dansereau, Quelques raisons d’espérer.

Attaqué par des hyènes

Le travail de Robert Kasisi l’a mené à observer la faune dans plusieurs pays d’Afrique, notamment pour ses travaux sur une espèce en voie de disparition, le gorille de l’Est (Gorilla beringei) au Congo, son pays d’origine. Durant l’année sabbatique qu’il a consacrée à la rédaction du rapport de l’IPBES avec ses cosignataires en Afrique du Sud en 2019, il était au milieu des girafes, antilopes, éléphants et autres espèces emblématiques du continent. «Cette plongée étendue dans la savane africaine nous a procuré une grande joie», dit-il.

Si l’Organisation des Nations unies a fait appel à lui pour codiriger les chercheurs ‒ il était le seul Canadien du groupe ‒, c’est qu’il a acquis une bonne connaissance du terrain, ayant participé à des missions au Mali, en Guinée, au Tchad, en Côte d’Ivoire, à São Tomé-et-Príncipe et au Gabon, principalement.

Une des plus grandes frayeurs de sa vie remonte à 2005, alors qu’il faisait un safari avec des amis québécois au Kenya. Au troisième jour d’une expédition pédestre qui en comptait sept, il a été réveillé en pleine nuit par des bêtes qui rôdaient autour de sa tente. «J’ai eu la mauvaise idée de frapper sur le bord de ma tente, ce qui a excité les animaux, qui m’ont pris pour une proie en panique. Heureusement, nos guides massaïs sont venus et ont chassé les hyènes avec leurs lances et leurs bâtons.»

Pendant ce voyage, un de leurs ânes a été dévoré par une lionne.

Les effets des nouvelles infrastructures sur l'environnement, sous l’angle de l’informatique et de la géographie

Vue sur l'ancien pont Champlain et sur le nouveau.

Il y a un peu plus d’une semaine, la Chine amorçait la construction d’un hôpital qui devait s’échelonner sur seulement 10 jours, capable d’accueillir 1000 patients victimes du coronavirus, dans la ville de Wuhan. À Montréal, commerçants et résidants se souviennent encore avec amertume des travaux de réfection du boulevard Saint-Laurent qui, en 2008, s’étaient étalés sur 13 mois…

Ces deux exemples illustrent parfaitement le thème «Infrastructures sous tension et défis environnementaux» choisi pour marquer une série de rendez-vous organisés par la Faculté des arts et des sciences de l'Université de Montréal et son doyen, Frédéric Bouchard, et dont le premier a eu lieu le 27 janvier.

Animée par la rédactrice en chef du magazine Québec Science, Marie Lambert-Chan, l’activité a permis aux quelque 50 participants d’avoir un aperçu des impératifs de la recherche sur ce thème, à travers l’expertise des professeurs de l’UdeM Kathryn Furlong, du Département de géographie, et Bernard Gendron, du Département d’informatique et de recherche opérationnelle.

Voici un survol de la teneur des échanges, qui étaient dirigés par Mme Lambert-Chan.

La construction d’infrastructures majeures implique différentes prises de décisions qui sont parfois bonnes, parfois moins bonnes… Comment votre discipline permet-elle d’aider les décideurs à mieux planifier les travaux?

Bernard Gendron: Dans le domaine de la recherche opérationnelle, nous considérons les enjeux de la planification et des opérations pour offrir différentes possibilités aux gouvernements, aux municipalités et aux entreprises. Nous parlons ici d’enjeux stratégiques et de la planification de travaux qui s’échelonnent sur quelques années [NDLR: comme le pont Samuel-De Champlain ou l’échangeur Turcot], à partir de l’évolution des clientèles, de la population et de l’environnement.

En fait, notre travail consiste à gérer l’incertitude et, pour ce faire, nous effectuons des calculs de projection relatifs à la transformation des systèmes dans le temps, qui servent à élaborer des modèles de représentation. Ces modèles sont nourris par des données issues du passé – comme l’évolution démographique et celle des quartiers – et de ce qu’on peut envisager pour l’avenir. Ce n’est pas toujours évident!

Pour ce qui est de la recherche en logistique, elle contribue plutôt à la prise de décision à court terme, comme le choix des fournisseurs de matériel, des modes de livraison – notamment pour le dernier kilomètre, c’est-à-dire la distance que le matériel ou le produit doit parcourir à la fin du trajet jusqu’au destinataire, après avoir franchi des centaines, voire des milliers de kilomètres par avion, par bateau puis par train ou par camion: selon l’environnement, on verra à réduire la tension sur le réseau routier et la chaîne logistique en optant pour des véhicules plus petits et plus écologiques.

Qu'en est-il de la géographie?

Kathryn Furlong: En géographie humaine, notre perspective de recherche porte plutôt sur les éléments dont on tient – ou ne tient pas   compte au moment de prendre une décision concernant les infrastructures. En général, les infrastructures urbaines sont vues comme un moteur de développement économique et la prise de décision est teintée par la volonté d’attirer des entreprises pour qu’elles investissent. Mais cela ne fonctionne pas toujours: il y a quelques années à Vancouver, on a construit un train entre la ville et les banlieues autour desquelles sont établis immeubles en copropriété et industries, mais les usagers potentiels du train n’étaient pas au rendez-vous.

Nous constatons que, en période d’austérité, les gouvernements n’investissent plus seuls dans les infrastructures; ils les font construire par le secteur privé, qui finance les projets et qui en tire ensuite des bénéfices pour de nombreuses années, comme c’est le cas avec des routes ou des ponts à péage ou encore des usines de désalinisation de l’eau.

Mes travaux de recherche portent beaucoup sur les pays du Sud, où prévaut une vision tiers-mondiste du développement économique. Les grands projets sont financés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, mais lorsque les pays sont en défaut de paiement – par exemple en raison de la dévaluation de leur monnaie –, ils entrent dans le cercle vicieux du financement de leur dette en empruntant à d’autres créanciers. La recherche démontre que le sous-développement passe par la financiérisation du système d’endettement.

En recherche opérationnelle, vous visez l’optimisation. Qu’est-ce que cela signifie?

BG: L’optimisation est un sous-domaine des mathématiques qui consiste à considérer, à partir de différentes données, un grand nombre de possibilités et à choisir la meilleure solution qui soit. Prenons un cas simple: on cherchera à déterminer les trajets quotidiens d’un livreur, à partir d’un point de service, afin qu’il effectue sa tournée des clients dans le temps le plus court possible. Mais l’optimisation des infrastructures s’avère plus complexe vu la quantité d’informations à traiter. Ainsi, pour optimiser la construction d’une nouvelle ligne de métro, il faut désigner les meilleurs endroits pour établir les stations en tenant compte des besoins à la fois des utilisateurs, des gestionnaires et autres intervenants… dont les intérêts ne vont pas tous dans le même sens! Puis, on agrège les données qui pointent dans la même direction pour concevoir des modèles mathématiques à plusieurs niveaux qui s’influencent mutuellement. L’optimisation est une science qui a de multiples applications et qui va bien au-delà de la seule réduction des dépenses: il faut prendre en compte de nombreuses considérations sociales et environnementales.

Justement, sur le plan environnemental, que nous révèlent les études portant sur les infrastructures et relevant de la géographie?

KF: Je vois deux tendances.

La première concerne des systèmes hybrides et décentralisés, comme pour les réseaux d’aqueduc et en matière de production d’énergie. Plutôt que de miser uniquement sur des systèmes centralisés et uniformes comme on l’a vu par le passé, on se tourne davantage vers des systèmes plus petits ou hybrides. Par exemple, en Colombie, des villes intègrent les eaux de pluie dans le système d’aqueduc pour réduire leur empreinte écologique. Ces systèmes hybrides interreliés réduisent la pression sur le système centralisé et permettent un accès moins coûteux à l’eau potable [NDLR: au lieu de se servir de l’eau potable pour la douche, on utilise le réseau d’eau de pluie].

De plus, en devenant elle-même initiatrice de petits systèmes, la population est plus autonome face aux décideurs portés vers la centralisation.

L’autre tendance est celle des gouvernements aux politiques économiques austères, qui équilibrent leurs budgets et essaient d’attirer les investisseurs pour financer leurs infrastructures. Or, certaines infrastructures n’intéressent pas les investisseurs, mais elles sont très politiques, comme le Réseau express métropolitain!

Mais il existe aussi des systèmes politiques où les considérations environnementales ne pèsent pas lourd vis-à-vis du désir de construire, comme en témoigne d’ailleurs l’hôpital bâti en 10 jours à Wuhan, en Chine. Dans ce pays, on a coulé plus de béton en 10 ans qu’on en a utilisé pendant tout le 20siècle aux États-Unis! 

 

 

La science à l'épreuve des faits

Des poissons-demoiselles sur la Grande Barrière de corail en Australie, y compris des espèces utilisées par les chercheurs dans leur étude.

Des biologistes de l'UdeM mettent en doute des études passées selon lesquelles les poissons tropicaux se comportent étrangement à cause de l'acidification des océans liée aux changements climatiques.

Il est parfois utile de vérifier les faits: les résultats peuvent être surprenants.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs études scientifiques abondamment médiatisées ont affirmé que les poissons tropicaux qui peuplent les récifs coralliens subissent l'influence néfaste de l'acidification des océans provoquée par les changements climatiques ‒ ils auraient des comportements étranges et seraient attirés par leurs prédateurs en raison de l'augmentation du taux de dioxyde de carbone dans l'eau, résultat de la pollution atmosphérique.

Toutefois, de nouveaux travaux montrent que tel n'est pas le cas.

De fait, selon l'étude la plus complète à ce jour sur les répercussions de l'acidification des océans sur les poissons des récifs coralliens, étude dirigée par des chercheurs australiens et cosignée par deux chercheurs de l'Université de Montréal dans la revue Nature, le comportement des poissons ne serait aucunement touché par ce phénomène.

«Ces 10 dernières années, de nombreuses études scientifiques réputées ont mis en relief les effets alarmants de l'acidification des océans sur les comportements des poissons des récifs coralliens»; certaines d’entre elles mentionnent que, dans les eaux acidifiées, les poissons sont attirés par l'odeur de leurs prédateurs, rappelle Timothy Clark, auteur principal de l'article et professeur agrégé à la Deakin University's School of Life and Environmental Sciences de Geelong, une ville côtière voisine de Melbourne, en Australie.

Mais en refaisant ces études auprès de bon nombre des mêmes espèces et en analysant les données ainsi obtenues, le professeur Clark et son équipe, composée de chercheurs scandinaves et canadiens ‒ dont Sandra Binning et Dominique Roche, biologistes à l'Université de Montréal ‒, sont parvenus à des résultats fort différents.

En tout état de cause, les résultats originaux n'ont pu être reproduits.

Des comportements invariablement normaux

«Nous nous attendions à ce que les résultats précédents soient aisément reproductibles, puisqu'ils ressortaient de façon claire et convaincante des articles initiaux. Nous avons plutôt constaté des comportements invariablement normaux chez des poissons qui se sont acclimatés au taux de CO2 [prévu] de la fin du 21e siècle dans les océans», explique Timothy Clark.

Mais «en utilisant des méthodes rigoureuses, en mesurant divers comportements chez diverses espèces et en rendant accessibles nos données et nos analyses, nous avons démontré de façon détaillée et transparente que l'acidification des océans avait un effet négligeable sur le comportement des poissons des récifs coralliens», ajoute le chercheur.

«Plus précisément, un taux de CO2 élevé n'a pas d'influence significative sur le niveau d'activité ou la latéralisation comportementale [choix d'orientation gauche-droite] des poissons, pas plus qu'il n'altère leur réaction aux signaux chimiques émis par les prédateurs.»

Cette nouvelle étude promet d'avoir un écho important dans le monde de la biologie marine, croient les auteurs. Non seulement elle contredit les études passées, mais elle montre que la science ne produit pas toujours des résultats susceptibles de renforcer les convictions de la communauté scientifique, comme c'est le cas pour les changements climatiques.

Bien au contraire, même.

Se rapprocher de la vérité

«Certaines personnes seront peut-être surprises par ces conclusions, mais telle est la nature de la science: c'est un processus normal et sain que de mettre en doute les résultats publiés ‒ parfois, ceux-ci tiennent la route, parfois non. En définitive, c'est l'accumulation des preuves qui compte et qui nous rapproche de la vérité», déclare Sandra Binning, professeure adjointe au Département de sciences biologiques de l'UdeM.

Pour la biologiste, les découvertes ne doivent pas être prises pour argent comptant: «En tant que scientifiques, nous devons toujours rester critiques vis-à-vis de ce que nous lisons et de ce que nous voyons. C'est ce qui fait progresser la science.»

«Nous ne prétendons pas que le changement climatique n'est pas un problème, loin de là», mentionne pour sa part Dominique Roche, associé de recherche à l'UdeM. Mais nous croyons que les études de réitération sont très importantes, même si l'acidification des océans et le réchauffement de la planète en général sont des phénomènes établis.»

Timothy Clark renchérit: «Les conséquences néfastes des émissions de CO2 sont bien connues et le réchauffement climatique a d'ores et déjà des effets dévastateurs sur les écosystèmes coralliens dans le monde. L'augmentation de la fréquence des tempêtes et le blanchiment des récifs durant les vagues de chaleur, notamment, entraînent une perte d'habitat dramatique pour les poissons.»

«Par conséquent, malgré nos conclusions, les récifs coralliens et les poissons qu'ils abritent demeurent gravement menacés par l'augmentation du niveau de CO2 dans l'atmosphère.»

Se concentrer sur d'autres questions

Plutôt que de concentrer leur attention sur les effets de l'acidification des océans sur le comportement des poissons, les scientifiques devraient se pencher sur «d'autres aspects des changements climatiques qui nécessitent davantage de recherche» tels que les risques de maladies infectieuses, la destruction des habitats et la diminution du niveau d'oxygène dans l'eau, selon Sandra Binning, titulaire d'une chaire de recherche sur l'écoévolution et les interactions hôte-parasite.

«Compte tenu du peu de temps qu'il nous reste pour lutter contre les changements climatiques, il est absolument vital que les budgets de recherche soient utilisés de la meilleure façon possible et nous aident à mieux comprendre et à mieux cibler les systèmes et les organismes qui courent les plus grands risques», conclut Dominique Roche.

 

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