L’approche Une seule santé repose sur l’interdépendance entre la santé des humains, celle des animaux et celle des écosystèmes. Cette approche intégrée vise, entre autres, à mobiliser de multiples disciplines et de nombreuses parties prenantes de tous les secteurs de la société pour trouver des solutions durables aux défis qui se posent à nous.
Sous l’impulsion de la One Health Commission, la date du 3 novembre a été désignée Journée mondiale Une seule santé et, à cette occasion, nous avons demandé aux professeures Hélène Carabin et Cécile Aenishaenslin, de la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, de nous parler de l’intégration de cette approche dans les programmes universitaires d’enseignement et de recherche.
Vous verrez, ce concept reconnu internationalement ne concerne pas seulement la médecine vétérinaire et la médecine humaine. Loin de là!
Tout d’abord, d’où vient le concept Une seule santé?
Hélène Carabin: Le concept en soi existe depuis très longtemps, mais l’appellation et la définition d’Une seule santé sont relativement récentes. De fait, l’idée que les santés des humains, des animaux, des plantes, des écosystèmes sont interdépendantes était présente bien avant chez les premiers peuples de partout dans le monde.
Cécile Aenishaenslin: L’approche Une seule santé s’est conceptualisée au début des années 2000 dans le domaine de la science, avec l’émergence de maladies zoonotiques, dont la grippe aviaire en Asie. C’est à partir de ce moment-là qu’une mobilisation internationale s’est créée autour de ce concept. Toutefois, le véritable élément déclencheur récent a été la pandémie de COVID-19. Un groupe de spécialistes a élaboré une définition du concept Une seule santé qui a servi de base à une série de structurations nationales et internationales en matière de recherche scientifique.
Hélène Carabin: À cet égard, il importe de préciser qu’Une seule santé est d’abord et avant tout une approche de prévention, ce qui implique donc de réfléchir en amont sur les causes des problèmes et des crises afin de les éviter, plutôt que de les subir.
Quelles sont les disciplines qui peuvent se mobiliser pour l’approche Une seule santé?
CA: Les domaines de la santé publique et de la santé animale ont été concernés en premier lieu, mais aujourd’hui, l’approche Une seule santé rallie l’ensemble des disciplines, des sciences naturelles jusqu’aux sciences humaines et sociales.
Une seule santé, ça ne se limite pas à la surveillance et à la prévention des zoonoses, bien que ce soit celles-ci qui à l’origine ont mis en évidence l’importance d’unir nos efforts: nous avons besoin de l'ensemble des secteurs, des disciplines et des communautés pour nous occuper des problèmes globaux auxquels nous faisons face collectivement.
HC: On ne soupçonne pas à première vue tous les domaines qui sont visés. On peut penser, par exemple, à la nutrition pour les questions de sécurité alimentaire, aux sciences biologiques et à la chimie dans les cas de pollution atmosphérique, de qualité de l’eau et des contaminants accumulés dans les sols et l’environnement… La portée est vaste!
CA: Les sciences sociales et humaines jouent aussi un rôle essentiel, notamment pour mieux comprendre les comportements humains, ceux-ci étant étudiés en philosophie et éthique, en psychologie, en sociologie et en économie – dont l’économie circulaire. L’établissement de politiques publiques, l’architecture de paysage, l’aménagement du territoire et l’urbanisme sont également des disciplines où s’applique l’approche Une seule santé… Nous avons d’ailleurs la chance à l’Université de Montréal de pouvoir compter sur des expertises diversifiées dans l’ensemble de ces domaines et plus encore à travers nos facultés, écoles et centres affiliés.
En quoi l’approche Une seule santé modifie-t-elle concrètement votre façon d’effectuer de la recherche?
CA: Elle nécessite qu’on adopte une vision systémique, ce qui implique de considérer toutes les problématiques complexes de l’axe «humain-animal-environnement» de façon globale, d’où l’importance d’avoir différentes perspectives et expertises pour pouvoir les comprendre et mieux y répondre.
Cette approche demande plus de temps pour élaborer et mettre en œuvre des projets de recherche parce qu’ils nécessitent de faire appel à des équipes multidisciplinaires, avec chacune des acteurs apportant une perspective unique. Cela exige d’apprendre à se comprendre mutuellement à travers les différents vocabulaires propres à chaque discipline et de s’accorder sur un langage commun. Mais ce processus permet à chacun de s’enrichir des connaissances des autres et conduit à des idées et des solutions encore plus innovantes, grâce aux collaborations sur le long terme que l’approche requiert.
HC: C’est tout à fait exact! Un défi supplémentaire réside dans le financement de ce type de projets. Comme ils s’articulent autour de plusieurs domaines, les organismes subventionnaires, qui sont structurés par disciplines ou secteurs, ne sont pas nécessairement réceptifs à une approche de recherche plus englobante.
De plus, pour des projets de recherche orientés vers l’approche Une seule santé, les budgets doivent être plus importants, car, en plus de faire intervenir plusieurs personnes de différents domaines de recherche, ils nécessitent d’être coconstruits avec les communautés et les groupes concernés. Et il y a peu de programmes existants pour appuyer cette démarche.
CA: Ce qui change aussi, c’est la forme de leadership: traditionnellement, en milieu universitaire, la reconnaissance en recherche va au chercheur principal ou à la chercheuse principale, mais les projets axés sur Une seule santé reposent sur un leadership collaboratif. Cela pose un défi surtout pour les jeunes chercheuses et chercheurs parce que, en adhérant à ce type de projet, ils n’obtiendront pas la reconnaissance nécessaire pour établir leur crédibilité en recherche.
Et en matière d’enseignement, comment l’approche Une seule santé est-elle intégrée?
CA: Plusieurs initiatives sont en cours à l'Université de Montréal, avec des programmes existants et d’autres qui sont à venir. C’est notamment le cas de deux programmes élaborés par un groupe de travail que j’ai codirigé avec Julie Carrier et qui seront bientôt offerts. Il s’agit d’un microprogramme de troisième cycle et d’un doctorat relatifs à l’approche Une seule santé, qui seront destinés à une clientèle transdisciplinaire. D’ailleurs, ces programmes seront orchestrés par un leadership collaboratif exercé par huit facultés de l’Université, une première!
L’approche Une seule santé est aussi abordée dans des programmes existants, notamment à l’École de santé publique de l’UdeM et à la Faculté de médecine vétérinaire, et cela nécessite une capacité à vulgariser différents concepts scientifiques à travers des exemples concrets et adaptés.
L’an dernier, nous avons lancé notre première école d’été Une seule santé, financée par le Centre d’études et de recherches internationales de l’UdeM et soutenue par l’Initiative Une seule santé avec la participation de professeurs et professeures de plusieurs facultés et départements. Cette école d’été a attiré des étudiantes et étudiants de 2e cycle issus de différents horizons.
Comment convaincre vos collègues d’adopter cette approche?
CA: Devant les problématiques complexes que représentent les changements climatiques, l'émergence des zoonoses, l’insécurité alimentaire, le déclin du bien-être et la perte de biodiversité, nous devons allier nos forces pour trouver des solutions durables. Malgré tous les défis que cela comporte, cette approche offre un potentiel d’enrichissement des connaissances et d’innovation bien plus grand que ce que nous pourrions réaliser individuellement, chacun de notre côté.
HC: Les chercheuses et les chercheurs sont des personnes qui aiment apprendre et l’approche Une seule santé répond à ce besoin en élargissant le spectre des connaissances qu’on peut acquérir. Tout le monde a sa place dans cette approche!