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L'auto tue la terre!

À l'occasion du jour de la Terre, le géographe Rodolphe De Koninck répond aux questions de "Forum".

«La surpopulation ne menace en rien la Terre, selon le géographe Rodolphe De Koninck, depuis peu professeur à la retraite de l’Université de Montréal. Le problème, c’est la façon dont les humains occupent la planète, quel que soit leur nombre.» M. De Koninck, qui a mené maintes recherches en Asie, où il a constaté les ravages de l’agriculture industrielle, ne croit pas qu’il faille baisser les bras. À l’occasion du Jour de la Terre, il répond aux questions de Forum.

Est-il trop tard pour sauver la Terre?

Quand j’observe certains comportements ou lorsque j’entends des raisonnements boiteux, je me dis qu’en effet il ne sera pas possible de sauver la Terre et nous-mêmes encore moins! Bien des gens accusent la croissance démographique d’être le problème central alors que c’est plutôt la façon dont nous habitons la planète qui pose problème. L’empreinte écologique des Nord-Américains est en moyenne au moins cinq fois supérieure à celle des Africains, dont le nombre actuel s’élève à quelque 1,2 milliard contre 360 millions pour nous. Quand je pense à ça, je suis pessimiste. Mais je refuse pourtant de capituler et de dire: «Y a rien à faire!» Je reconnais que beaucoup de personnes se sentent dépossédées de tout pouvoir de décision et que cela est au cœur des enjeux. Mais il faut lutter contre cette dépossession, qui est en réalité une forme d’aliénation. Il faut en contester les fondements et inciter les gens à remettre en question leur mode de consommation et à reconnaître son absurdité.

Que pouvons-nous faire afin de réduire notre empreinte écologique?

Des solutions existent, comme le démontre l’excellent film documentaire Demain. Parmi les objets cultes hyper destructeurs tant des écosystèmes que de nos sociétés, il y a la voiture, en passe de devenir quasi individuelle dans les pays industrialisés. Plus on s’asservit à celle-ci, plus on s’enlise dans la surconsommation, notamment de l’énergie et des métaux, quelle que soit leur origine. Bien des matériaux très antiécologiques, tel le plastique, sont utilisés abusivement et sans grand discernement. On doit apprendre à refuser ou limiter et remplacer leur usage. Et par-dessus tout, on doit éviter le gaspillage, devenu systémique dans nos économies, tout comme on doit refuser l’obsolescence programmée et encourager le partage et le recyclage.

Chacun a ses décisions à prendre. Pour ma part, je n’ai pas de conseils à donner, si ce n’est que chacun a un rôle à jouer et qu’il est aussi essentiel de promouvoir une concertation collective. Nous devons expliquer, partager les raisons pour lesquelles nous décidons de faire certains choix écologiques. Trop de gens font des efforts dans leur coin, en silence. Au contraire, on doit en parler! C’est par la concertation qu’on va pouvoir changer les choses. Mais cela doit également passer par le pouvoir politique, qui doit être contraint à agir, à règlementer, principalement en faveur de l’internalisation de tous les coûts de production. Mais pour que cela puisse se faire, il faut que suffisamment de gens l’exigent avec conviction.

Selon vous, doit-on craindre le développement de la Chine?

La croissance de la consommation en Chine est inquiétante. Même si la Chine a fait certains choix importants favorables à l’environnement sur les plans de l’aménagement urbain, de l’agriculture et de l’utilisation de l’énergie verte, elle n’est pas prête à reconnaître que le modèle occidental, qui fait la promotion de la voiture individuelle, est absurde et suicidaire. Ainsi, paradoxalement, la Chine s’est lancée elle aussi dans une course effrénée à l’automobile et s’est mise à aménager son territoire pour en favoriser l’usage! Dans les années 80, quand j’y enseignais, tout le monde ou presque se déplaçait en vélo. En 2001, j’ai constaté sur place que la transition était déjà très avancée, les vélos ayant été chassés de la majorité des grandes avenues urbaines.

Avec ses quelque 25 millions d’autos fabriquées en 2015, contre 12 millions aux États-Unis, le pays est devenu de loin le premier constructeur mondial. Comme on sait qu’il s’agit d’une source de pollution considérable, on peut effectivement s’inquiéter. Si le taux de propriété automobile de la Chine (et de l’Inde!) atteint celui des États-Unis, soit près de 80 %, good luck! Les voitures se retrouveront alors pare-chocs contre pare-chocs sur toute la planète!

Quelle est votre position sur la nouvelle administration américaine?

Le protectionnisme de Donald Trump est en partie fondé sur des raisons valables, mais ce ne sont pas celles qu’il évoque. Par exemple, la mondialisation, qui est largement basée sur l’intégration au marché mondial des agricultures des pays en développement, a eu des conséquences désastreuses dans plusieurs de ces pays, surtout en Afrique. M. Trump n’en a cure. Il prétend que les États-Unis n’en ont pas bénéficié. Faux! Les États-Unis font partie des pays qui ont le plus tiré profit de la mondialisation. Ils étaient les premiers à l’encourager avec leurs exportations agricoles. La puissance agricole américaine a en effet explosé sur le marché mondial dès la fin du 19e siècle. Les Américains ont ainsi pu faire tourner à fond leur machine économique, en particulier leur agriculture, qui demeure la plus puissante du monde.

Cette position de Donald Trump qui va compromettre les accords de libre-échange avec l’Europe n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Car l’ouverture des marchés a profité à certains et a favorisé l’essor de la concentration de la richesse dans le monde, tant sur le plan géographique que sur le plan social – le fameux un pour cent de ploutocrates. Il faut aussi contrer l’argument selon lequel on doit créer de la croissance pour stimuler l’emploi. La croissance telle qu’elle fonctionne à l’heure actuelle est très souvent complètement indépendante de la création d’emplois. En réalité, on détruit des emplois ou on précarise le travail pour assurer la croissance économique. Cela s’applique au secteur automobile, à la construction aéronautique et à l’agriculture. Le problème fondamental est que ce mode d’accumulation de la richesse a de graves conséquences environnementales. C’est la course au profit et la rationalisation privative de la rentabilité économique qui poussent à la course à la production. Nous vivons dans une société où ce n’est plus la demande qui motive la production, mais plutôt l’offre qui incite à l’achat. Et donc au gaspillage! Nous devons changer nos modes de consommation. C’est la nouvelle donne à laquelle l’Homo sapiens doit s’adapter!

L'UdeM célèbre le Jour de la Terre

L’Université de Montréal soulignera le Jour de la Terre en éteignant la tour du pavillon Roger-Gaudry dans la nuit du 22 avril.