Se découpant sur un fond de ciel bleu, le toit vert du campus MIL tranche au milieu du bitume. Bientôt des plantes indigènes y fleuriront; les abeilles et oiseaux y butineront. En cette belle journée de printemps, la toiture végétale brille de mille feux. Image idyllique d’un monde enfin propre, développé et durable.
Nous sommes au-dessus des salles de classe du Complexe des sciences. L’architecte Catherine Bélanger, du cabinet Menkès Shooner Dagenais LeTourneux Architectes et diplômée de l’Université de Montréal, travaille sur ce projet de haute technologie. «Il y a un autre toit vert, situé sur le débarcadère de l’avenue Thérèse-Lavoie-Roux», dit-elle. Matériaux fabriqués localement, systèmes de récupération de chaleur, optimisation de la lumière du jour, cours intérieures plantées d’espèces indigènes du mont Royal… Pas de doute, il s’agit bien d’un campus «vert». «On vise la certification LEED or», fait valoir l’architecte. Ce label garantit la faible empreinte écologique d’un bâtiment.
Dès septembre, le Complexe des sciences entamera ses activités. Mais les quelque 200 professeurs et 2000 étudiants n’auront pas accès à ces deux toits verts. Ce privilège sera réservé à l’équipe responsable de l’entretien. Par contre, le lien piétonnier du campus MIL, jalonné d’arbres en son centre, permettra aux usagers et aux résidants de se rendre aux stations de métro Acadie et Outremont tout en contemplant l’architecture épurée des pavillons.
À la Faculté de l’aménagement, où se trouvent deux toits végétalisés (le principal est sur la terrasse supérieure du pavillon de l’avenue de Darlington; l’autre se situe au-dessus du Centre d’exposition), les étudiants peuvent, dans le cadre de leurs cours, accéder aux couverts végétaux pour y faire des observations ou y mener des travaux. «Il y a des avantages écologiques, économiques et sociaux aux toitures végétales. Elles sont notamment reconnues pour retenir l’eau de pluie et ainsi réduire la quantité d’eau envoyée aux égouts en plus de contribuer à la réduction des îlots de chaleur urbains», indique Stéphane Béranger, coordonnateur au développement durable de l’Université de Montréal. Études scientifiques à l’appui, il rappelle que les toits verts peuvent diminuer l’effet thermique de plusieurs dizaines de degrés en été. «Ça isole mieux, alors la facture de climatisation est moins élevée.»
Qui dit toit vert dit assainissement de la qualité de l’air. La présence de végétaux permet de réduire les particules de poussière dans l’air. Les toitures végétalisées peuvent aussi devenir un lieu de prédilection pour des plantes et animaux en particulier et ainsi favoriser la biodiversité tout en offrant un espace de vie supplémentaire et agréable, souligne Stéphane Béranger. «Les toits verts embellissent le paysage et notre qualité de vie. Allez visiter celui du Palais des congrès ou encore celui de l’hôtel Bonaventure et vous verrez combien il est apaisant et rafraîchissant de se promener dans ces lieux même s’ils sont entourés de béton et qu’on entend les bruits de véhicules.»
Mais à eux seuls, les couverts végétaux sont bien loin d’être en mesure de résoudre tous les problèmes environnementaux auxquels les citadins sont désormais confrontés. Il faut par ailleurs un certain niveau de connaissances pour mettre en place un toit vert et de l’argent pour adapter la structure d’un bâtiment existant, sans compter les contraintes règlementaires. «Pour l’heure, il est nécessaire d’apprendre à maîtriser notre consommation d’énergie et de privilégier des matériaux durables comme les toits blancs. Sur Google Maps, la vue du ciel du quartier Rosemont montre de nombreuses surfaces blanches qui sont le résultat d’une règlementation exigeant que toutes les nouvelles toitures soient de cette couleur», affirme M. Béranger. Le toit plat de l’immeuble Marguerite-D’Youville, réaménagé il y a quelques années, ainsi que la majorité des couverts du nouveau campus MIL sont blancs. Les membranes blanches, révèle un document de la Ville de Montréal, sont «très durables et ont de nombreux avantages pour l’environnement. Elles peuvent aussi servir de base pour un futur toit végétalisé».
Une stratégie haute en couleur
Comme son nom l’indique, le toit vert consiste en une toiture végétalisée. Sur le plan technique, différents types d’aménagements sont possibles afin de s’adapter à la structure du bâtiment, à l’environnement et au budget. Plus coûteux qu’un toit noir à base d’asphalte et recouvert de cailloux, le toit vert comporte habituellement les éléments suivants: une charpente de toit et de l’isolant, une membrane imperméable à laquelle on intègre souvent un écran antiracine, un système de drainage jumelé, à l’occasion, à des réservoirs de stockage intégrés, une membrane géotextile destinée à contenir le sol et les racines, un substrat ainsi que des végétaux.
On compte actuellement quelque 200 toits verts dans la métropole et la région environnante. «Le concept de toiture végétale commence à se développer au Canada et au Québec», note Stéphane Béranger. Mais on est loin derrière Toronto, où depuis 2009 un règlement spécifie que tout bâtiment d’une surface minimale de 200 m2 doit prévoir une zone pour des espèces végétales. Selon M. Béranger, les toits verts n’ont pas la cote du fait d’un code du bâtiment très frileux; les matériaux qui composent ce type de toiture sont considérés comme des combustibles. Dans bien des cas, les structures des bâtiments n’ont par ailleurs pas été prévues pour les recevoir. Et il ne faut pas oublier le poids de la neige l’hiver sous nos latitudes. «On n’a pas la densité des villes européennes et américaines, où les îlots de chaleur contribuent davantage à la dégradation de l’environnement, ajoute-t-il. Ici, les toits verts ne sont pas promus par la règlementation, mais les choses peuvent vite changer avec un peu de volonté.»
À Montréal, ce sont surtout les immeubles commerciaux et bâtiments publics qui verdissent leurs toits. Plusieurs projets d’envergure intégrant des aménagements végétalisés ont vu le jour ces dernières années, comme la tour Québecor, la maison de la culture Côte-des-Neiges, le Santropol Roulant, les Fermes Lufa, la Maison du développement durable, l’hôtel Bonaventure…
«Actuellement, la norme est aux toits blancs», déclare Catherine Bélanger. Depuis 2015, plusieurs arrondissements, dont Rosemont‒La Petite-Patrie et Côte-des-Neiges‒Notre-Dame-de-Grâce ont modifié leur règlement d’urbanisme afin de contrer les îlots de chaleur. Désormais, «seul un revêtement de toit de couleur pâle (gris ou blanc) ou végétalisé est autorisé lors de la réfection d’un toit plat». À titre d’exemple, il est permis de remplacer le gravier gris d’une toiture multicouche d’asphalte standard par du gravier blanc.
Pour Stéphane Béranger, cette stratégie favorisera la disparition des toits noirs. «On n’en est pas encore à l’étape de la démocratisation des toitures végétales, et les règlements en ce qui a trait aux toits blancs varient d’un arrondissement à l’autre, mais on s’en va dans la bonne direction.» À son avis, l’enjeu est de faire valoir aux Québécois les retombées de ces changements sur l’environnement et la qualité de vie des gens. «En ce moment, on parle de diminution des coûts de climatisation dans un contexte d’hydroélectricité peu coûteuse, ça ne marche pas vraiment.»