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Pourquoi les éoliennes ne sont pas bonnes pour le Québec?

Il est difficile de s'opposer publiquement à l'énergie éolienne, une énergie considérée comme verte. C'est pourtant ce que fait Normand Mousseau, professeur au Département de physique de l'UdeM, qui a coprésidé la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.

En tenant compte des contraintes environnementales et économiques, et à la lumière de près de 500 mémoires déposés à la Commission et des centaines d'interventions qui y ont été entendues, le titulaire de la Chaire de recherche de l'UdeM sur les matériaux complexes, l'énergie et les ressources naturelles est parvenu à des conclusions dérangeantes et parfois surprenantes sur ce que devrait être la prochaine politique énergétique du Québec. Il en a présenté les grandes lignes le 6 février dans une conférence intitulée «Pourquoi les éoliennes ne sont pas bonnes pour le Québec?» Forum y était présent.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que votre rapport Maîtriser notre avenir énergétique, rendu public en février 2014, a soulevé des contestations. Expliquez-nous pourquoi.

N.M. : Le rapport que nous avons présenté, Roger Lanoue et moi, à la ministre des Ressources naturelles du Québec de l'époque, Martine Ouellet, faisait ressortir des problèmes tellement gênants qu'il a été mis de côté très rapidement. Ce qui m'a montré qu'Einstein avait tort : l'information peut voyager plus vite qu'à la vitesse de la lumière. C'est à peu près à cette vitesse que notre rapport a été tabletté!

Mme Ouellet et bien d'autres politiciens ne peuvent pas accepter la prémisse selon laquelle la demande d'électricité n'a pas augmenté ces 10 dernières années. Si l'on n'a pas de problèmes d'approvisionnement, pourquoi continuer à accroître notre capacité de production? Le Québec produit déjà trop d'électricité pour ses besoins, et à un coût trop élevé pour qu'il puisse la revendre avec profit. En ajoutant de nouvelles sources d'énergie comme l'éolienne, on va se retrouver avec davantage de surplus d'électricité. Résultat? On vend à perte notre surplus d'électricité aux États-Unis!

 

Comment avoir une politique énergétique qui permette à la fois d'assurer la sécurité de l'approvisionnement, de lutter contre les changements climatiques et de favoriser le développement économique?

N.M. : C'est effectivement important de relier tout ça, car près de 75 % des émissions de gaz à effet de serre [GES] sont associées aux énergies. Pour atteindre nos buts sur les plans environnemental et économique, il faut d'abord regarder quelle est la situation actuelle du Québec. C'est ce qu'on a fait.

Environ 85 % de l'énergie produite ici se compose d'hydroélectricité et d'un peu d'éolien. Le restant provient de la production de biomasse, essentiellement du bois de chauffage et des résidus forestiers. On importe surtout des hydrocarbures fossiles, soit du charbon, du pétrole et du gaz naturel. Mais aussi de l'électricité! De Churchill Falls, à Terre-Neuve-et-Labrador. Par ailleurs, la majeure partie de notre exportation d'énergie, ce n'est pas de l'électricité (20 %), contrairement à la croyance populaire. Ce sont plutôt des produits pétroliers transformés dans nos raffineries.

Pour ce qui est de la consommation, chaque Québécois consomme, en moyenne, cinq tonnes d'équivalent pétrole annuellement, soit quelque 35 barils. Plus précisément, on consomme 40 % de pétrole, 39 % d'électricité, 14 % de gaz naturel et 7 % de biocombustibles et déchets. À peu près 47 % de la consommation d'énergie au Québec vient de ressources renouvelables et 53 % de ressources non renouvelables, donc des hydrocarbures fossiles. Par comparaison, à l'échelle de la planète, la moyenne s'élève à 15 % d'énergies renouvelables et à 85 % d'énergies non renouvelables. Constat? Nous figurons parmi les pays qui ont la plus grande fraction d'énergies renouvelables du monde!

Et pourtant, le Québec serait mal préparé pour affronter l'avenir...

N.M. : La consommation est effectivement restée à peu près constante, et ce, aux échelons tant résidentiel et industriel qu'institutionnel. Rappelons d'ailleurs que le secteur résidentiel, dont 85 % des énergies sont renouvelables, a baissé de 30 % ses émissions de GES, essentiellement en abandonnant le mazout. Par contre, notre consommation de pétrole pour le transport s'est accrue de manière importante, soit de 25 à 30 %. Pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, le Québec n'aura donc pas le choix de s'attaquer tout particulièrement au transport de manière large. Ce qui veut dire viser à la fois l'électrification des transports, l'augmentation du transport en commun et la révision en profondeur de notre politique d'aménagement du territoire.

Selon vos analyses, rien n'indique que le Québec pourra valoriser pleinement les énergies renouvelables qu'il produit dans le cadre des accords actuels. Voilà pourquoi vous dites que les éoliennes ne sont pas bonnes pour le Québec. Pouvez-vous nous expliquer?

N.M. : Lorsque nous avons fait le tour du Québec, tout le monde nous disait : «On a de l'électricité renouvelable. On doit pouvoir attirer les industries et vendre notre énergie avec profit...» Mais la réalité est qu'aujourd'hui le caractère renouvelable de notre électricité n'a pas de valeur particulière sur les marchés d'exportation. Nous sommes donc en compétition avec le gaz naturel des États-Unis, abondant et peu cher. Sans compter le Moyen-Orient, qui utilise maintenant son gaz naturel pour attirer les industries énergivores. Bref, on est en compétition avec des gens qui vendent leur électricité à 2 ou 2,5 ¢ le kilowattheure. Difficile dans ces conditions de valoriser notre énergie. C'est là tout un défi.

Malgré cela, on continue d'augmenter nos approvisionnements en énergie verte : on achète l'énergie éolienne entre 8 et 12 ¢ le kilowattheure et l'hydroélectricité de la rivière Romaine à 7 ou 8 ¢ le kilowattheure. Comme notre consommation d'électricité n'augmente pas depuis plus de 10 ans, on est obligé de la vendre aux États-Unis ‒ en dehors des heures de pointe parce que nos réseaux sont saturés ‒ à 3 ¢ le kilowattheure! Non content de subventionner la Californie pour les GES selon l'entente signée en 2012 pour la réduction des émissions de carbone, on finance les Américains à hauteur d'environ un milliard de dollars par année, et ça pourrait atteindre le milliard et demi d'ici trois ans. Ce que nous disons, c'est que, tant que nous ne serons pas capables de valoriser l'énergie verte, il faudrait arrêter d'en produire davantage.

Donc, le problème central est la question du réchauffement climatique et la politique énergétique doit s'aligner là-dessus. Cela implique d'adopter des objectifs à court et à long terme, de mieux maîtriser l'énergie et de réduire notre consommation de pétrole de 20 % d'ici 2025. Est-ce réaliste?

N.M. : Outre la lutte contre le gaspillage, la maîtrise de l'énergie signifie qu'on pense stratégiquement, en tenant compte des aspects énergétiques dans toutes les sphères d'activité de la société, en encourageant par exemple la mobilité durable. Pour parvenir à une diminution des GES, on n'a plus le choix. Il importe de couper dans le secteur du transport. Ce ne sera pas facile. Il n'y a aucun pays qui, à ce jour, a vraiment réussi cette transition. Il faudrait élaborer une série de mesures, notamment en termes d'aménagement du territoire, afin qu'il soit possible de se départir des automobiles. La qualité du bâti devrait aussi être améliorée afin d'utiliser moins d'énergie.