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Une utopie, le développement durable?

La 6e Conférence de la montagne a attiré près de 1000 personnes à l’amphithéâtre Ernest-Cormier et sa diffusion en ligne a été suivie par quelque 5000 autres: pas de doute, le sujet du développement durable s’imposait.

D’autant plus que la rencontre a eu lieu le jour même de la diffusion du Rapport Planète vivante 2018 par le Fonds mondial pour la nature, selon lequel 60 % des populations d'animaux sauvages ont disparu entre 1970 et 2014.

La table était donc mise. Si les trois conférenciers se sont entendus pour dire qu’il faut passer à l’action pour limiter les effets délétères de l’activité humaine sur la planète et ses écosystèmes, ils ont exprimé des points de vue différents sur la pertinence du développement durable comme seule et unique planche de salut.

«Le développement durable n’est pas une utopie»

Pour le biologiste et écologiste français Bernard Chevassus-au-Louis, «le développement durable n’est pas une utopie». Et il estime que la décroissance n’est pas un passage obligé pour préserver la nature tout en assurant le bien-être du plus grand nombre.

«Notre planète n’est pas un système fermé, a-t-il dit. Depuis trois milliards d’années, elle reçoit de l’énergie du Soleil et produit un capital matériel qui contient de l’information que l’on commence à peine à décrypter.»

Pour illustrer son propos, il a raconté qu’en 1888 un chercheur a extrait une molécule d’une carotte qui a permis de découvrir les premiers cristaux liquides «aujourd’hui à la base de nos écrans tactiles: l’information permet de créer».

De plus, celui qui préside l’association Humanité et biodiversité considère qu’en «s’appuyant sur la biodiversité on peut trouver un développement moins inégal [puisque] la croissance ne permet plus, depuis 1990-1995, de diminuer les inégalités dans le monde». Pour lui, il faut trouver des solutions qui seront moins énergivores et qui permettront de concevoir des modèles novateurs «comme utiliser, en agriculture, des variétés de plantes pour interférer avec les insectes, plutôt que d’avoir recours aux pesticides».

Enfin, Bernard Chevassus-au-Louis a soutenu que le développement durable doit reposer sur le codéveloppement. «Dans le développement durable, il y a trois formes de capital: économique, humain et naturel. Et il y a un débat à savoir si l'on peut puiser dans le capital naturel… Il faut dépasser cette idée que, si l’on prend dans l'un, on enlèvera dans l’autre.»

M. Chevassus-au-Louis juge que le codéveloppement est possible: «Quand on reconçoit l’urbanisme pour rendre les villes plus agréables, moins énergivores et plus favorables à la biodiversité, on crée du capital à la fois naturel, économique et humain, car le savoir-faire pourra être vendu ailleurs: on n’est pas condamné à puiser dans l'un aux dépens de l’autre.»

«Il faut apprendre aux communautés à patrimonialiser leur commune, ce qui leur permettra de discuter et de tisser des liens humains, a conclu le scientifique. On peut être inquiet face aux changements climatiques, mais il faut l’être davantage face aux tensions entre sociétés humaines qui découlent des enjeux des changements climatiques: il faut intégrer le codéveloppement pour apprendre à gérer la biodiversité et à nouer des liens entre humains et capital naturel.»

Un cadre de gouvernance reposant sur une croyance occidentale

Professeure au Département de didactique de l’Université du Québec à Montréal, Lucie Sauvé a quant à elle partagé un «regard dissident sur le développement durable: je reconnais le programme politicoéconomique, mais ce concept me semble être un produit et un moteur de la mondialisation et il pourrait faire partie du problème qu’il prétend résoudre».

Directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, Mme Sauvé a mentionné que l’intention derrière le développement durable «a toujours été d'établir un pont entre le monde économique et les acteurs de la société civile préoccupés par l’environnement; c’est une méprise, car on en est venu à confondre ce compromis avec un projet de société qui devient un instrument d’éducation, sans examiner d’autres cadres de référence qui pourraient inspirer notre rapport au monde contemporain».

À ses yeux, le développement durable «correspond à un fractionnement du monde: l’économie à part entière et désocialisée, les consommateurs et les producteurs, trois éléments auxquels les théoriciens du développement durable ont fini par ajouter le politique pour utiliser la culture comme filtre d’implantation».

Et, selon Lucie Sauvé, le but reste discutable: «Promouvoir la croissance économique soutenue parce qu’elle est essentielle à la prospérité, qui elle n’est pas définie mais pour laquelle la pauvreté est une entrave? Le développement durable, ce plan d’action pour l’humanité, est un plan économique.»

Ainsi, ce concept n’est, pour elle, qu’une néocolonisation, «que l’histoire d’une croyance occidentale devenue un cadre de gouvernance» mis de l’avant par l’Organisation des Nations unies, qui appelle tous les pays à se doter d’une politique de développement durable.

Reconnaissant que «l’argument et les principes du développement durable ont permis certaines avancées et qu’il fait sans doute partie de la solution, je m’oppose à ce que ça devienne un projet de société», a poursuivi Mme Sauvé.

En lieu et place du développement durable comme voie unique, elle a suggéré d’autres formes d’organisation sociale, telle l’économie de décence ou de suffisance, l’écodéveloppement et d'autres mouvements de décroissance ou de simplicité volontaire «où la communauté est centrale».

«Au-delà de ces modèles théoriques, il y a des millions de révolutions tranquilles et il y a une vague de fond qui agit, a fait observer Mme Sauvé. Il faut un projet social d’ensemble, une pensée écologique et une valeur ajoutée à vivre ensemble, et, au nom de la diversité globale, ça ne peut être étouffé dans le cadre de gouvernance du développement durable: il faut se réapproprier l’économie qui nous échappe.»

Une question de responsabilité…

Thomas Mulcair, lui, a prêché pour ce qu’il appelle la «trinité démocratie, droit et développement durable».

«Sachant qu’il faut agir maintenant, qui décide? Et qui est là pour veiller à la réalisation de ce qui a été décidé, qui rend des comptes à qui?» a demandé le professeur invité du Département de science politique de l’Université de Montréal.

De son point de vue, «les investisseurs ont le pouvoir de contrer les pays qui tentent d’agir pour sauver la planète; aujourd’hui, pour protéger les investisseurs, le principe de précaution fait place à l’obligation de prouver qu’ils causent des dommages», a-t-il déploré.

Critiquant le gouvernement fédéral, «qui tente de nous faire croire qu’on peut exploiter notre pétrole tout en réduisant les gaz à effet de serre», l’ex-politicien a réitéré que c’est la démocratie qui doit guider les décisions des élus, et non les lobbys.

«Nous avons des obligations envers les générations futures, a-t-il plaidé. On s’en va vers une augmentation de la température moyenne de plus de deux degrés et des dizaines de millions de personnes perdront leur maison, la biodiversité reculera dans tous les écosystèmes.»

Thomas Mulcair a salué le Québec pour avoir inscrit dans sa charte le droit de vivre dans un environnement sain. «La France fait un travail de fond pour qu’un tel droit soit aussi adopté sur la scène internationale, ce qui donnerait un point d’appui salutaire: il n’y a plus de gauche ou de droite; il y a ce qui marche et ce qui ne marche pas, et ce qu’on fait maintenant ne marche pas», a-t-il déclaré en citant l’ex-premier ministre britannique Tony Blair.

Éducation et action collective

Lucie Sauvé a regretté qu’on ne soit pas parvenu à intégrer l’écoresponsabilité à l’école, contrairement à l’éducation économique financière. «On avait, dans les années 80, un comité interministériel dont l’objectif consistait à déployer une dynamique d’éducation populaire à l’environnement, mais tout ça a disparu, a-t-elle signalé. Or, il faut faire entrer cette dimension dans la culture de notre société pour qu’elle s’en imprègne.»

Pour Bernard Chevassus-au-Louis, le développement durable permet de concevoir un nouvel humanisme qui inclut les hommes, les femmes et les enfants et de toutes origines. «Il faut aussi élargir l’humanisme à tous les êtres vivants, car les indicateurs économiques n’en tiennent pas compte et ils sont biaisés: si l’on donne une valeur à la perte du capital naturel, on est en déficit.»

Thomas Mulcair, lui, a incité les jeunes et les moins jeunes à s’engager politiquement pour faire avancer les choses. Ce à quoi Mme Sauvé a ajouté que c’est dans l’action collective que réside un futur moins morose.

«Joindre les groupes d’action collective permet de se motiver et d’apprendre les uns des autres, a terminé la professeure. Les gens ordinaires peuvent arriver à faire des choses extraordinaires quand ils agissent collectivement.»