Article de Daphné Cameron, La Presse
Un cultivar du fameux melon de Montréal a été réintroduit dans nos jardins il y a 30 ans, mais les doutes persistent à propos de son authenticité... doutes qui pourraient bientôt être levés. D’abord, à l’aide d’une douzaine de semences du fruit à la chair tendre et sucrée qui auraient été retrouvées au Musée québécois de l’agriculture et de l’alimentation à La Pocatière. Ensuite, grâce à l’herbier Marie-Victorin, conservé au Jardin botanique de Montréal, où deux spécimens de la plante récoltés en 1891 et en 1894 viennent aussi d’être repérés dans les archives.
Le melon de Montréal a fait la renommée du Québec au tournant du XXe siècle. La légende raconte qu’une seule tranche se vendait 1 $ en 1905 dans les grands hôtels de Boston, New York et Chicago. Il a disparu des champs aux alentours des années 1940-1950. Mais son aura persiste à ce jour.
Sébastien Hudon est né et a grandi à La Pocatière, la porte d’entrée du Bas-Saint-Laurent. Lorsqu’il a été nommé conservateur aux expositions du Musée québécois de l’agriculture et de l’alimentation il y a quelques mois, il a commencé à monter une exposition sur les semences ancestrales qui sera présentée cet été à compter du 20 juin.
Au fil de ses recherches, il a retrouvé un magnifique tableau synoptique réalisé entre 1938 et 1940 par un finissant en agronomie nommé Maurice Couture. On y retrouve 456 capsules de différentes variétés de semences.
« Il a été restauré juste avant mon arrivée au musée », raconte Sébastien Hudon. « Je l’ai trouvé dans le local de conservation en parfait état, il n’avait même pas été déballé […] Mon œil a tout de suite été attiré par la section des courges-melons et c’était écrit : muscat de Montréal. Je me suis retenu pour ne pas danser dans le musée ! »
Sur les traces du melon de Montréal
Il est difficile de déterminer quand le Montreal muskmelon, aussi connu sous les noms de « melon muscade » et de Montreal nutmeg, a été introduit sur l’île.
Certaines sources l’attribuent aux jésuites, d’autres sources à la famille Décarie, dont les membres l’ont cultivé à la fin du XIXe siècle et jusqu’au début du XXe siècle sur leurs terres agricoles situées là où se trouve aujourd’hui l’autoroute qui porte leur nom.
En 1997, un journaliste de la Gazette, Mark Abley, mène une grande enquête pour retrouver le fruit disparu. Il retrouve 50 graines de melon provenant de Montréal dans une banque de semences de l’Iowa. Il en confie une douzaine à un agriculteur de L’Île-Perrot.
Conclusion de l’expérience : « Chaque graine avait produit un fruit d’aspect différent. La plupart d’entre eux étaient assez petits », racontait alors l’article du quotidien anglophone.
L’un des melons avait un goût insipide, un autre avait la forme d’une torpille, un autre encore était long et mince. Mais un fruit a été identifié comme pouvant faire revivre la variété.
À partir de là, les semences ont été distribuées à de nombreux jardiniers amateurs soucieux de ressusciter le patrimoine agricole.
Le vrai ?
Rapidement, des doutes ont été émis sur l’authenticité des semences, car les fruits étaient petits et avaient un goût souvent décevant. D’autres restaient convaincus d’avoir la bonne souche et demeuraient persuadés qu’un travail de sélection des meilleurs fruits était nécessaire pour redonner au fruit son goût sucré d’antan. Les techniques agricoles ont aussi beaucoup changé. À l’époque, la culture était fertilisée avec du crottin de cheval. Les champs étaient aussi situés près du Mont-Royal, où le micro-climat était propice à sa croissance.
Malgré ce débat, l’affection pour le melon de Montréal perdure.
« Le melon de Montréal, c’est le point de départ d’une réflexion beaucoup plus vaste », pense Sébastien Hudon. « Celle de gens sérieux, curieux, qui veulent mordre dans un fruit comme on le faisait dans les années 1930 avant l’arrivée de l’agriculture industrielle. De gens qui veulent mordre dans un fruit qui a les qualités gustatives, la texture, la flaveur complète et le profil qui nous permet de dire : voici ce qui me relie à mon ancêtre sur le plan des sensations. »
Je mange ce melon-là aujourd’hui et je reproduis le geste de mon ancêtre. Je goûte comme lui goûtait ce melon. - Sébastien Hudon, conservateur du Musée québécois de l’agriculture et de l’alimentation
Des plants retrouvés
Dans sa quête, Sébastien Hudon a aussi pris contact avec Étienne Léveillé-Bourret, conservateur de l’herbier Marie-Victorin. Cette vaste collection abritée dans un bâtiment situé au Jardin botanique de Montréal contient 650 000 plantes séchées.
Dans l’armoire numéro 285, sur l’étagère numéro 7, Étienne Léveillé-Bourret a trouvé deux spécimens de plants cueillis par Joseph-Célestin Carrier, un père de Sainte-Croix établi au collège de Saint-Laurent, devenu aujourd’hui le cégep du même nom.
« Il y a tellement d’objets qu’on n’a pas un catalogue complet de ce qui existe dans l’herbier. C’est pour cela que quand on a trouvé le spécimen du potentiel melon de Montréal, on ne savait pas qu’il était ici ! », raconte celui qui est également professeur adjoint au département de sciences biologiques de l’Université de Montréal.
Il explique qu’il serait maintenant possible de séquencer l’ADN de ces plants.
« À voir l’aspect des feuilles, c’est encore un peu vert, il y a de bonnes chances que ça puisse donner du matériel génétique », évalue-t-il en montrant le plant séché.
Avec l’avancée de la science, cette découverte ouvre de nombreuses possibilités. Avec « de nouvelles graines qui sont potentiellement le melon de Montréal, on pourrait séquencer ce qui germe de ces graines-là, le comparer avec des plantes qui datent vraiment de la fin du XIXe siècle et regarder vraiment si c’est similaire génétiquement », explique-t-il.
Faire germer le passé
Sébastien Hudon aimerait faire séquencer l’ADN des semences. Il a déjà contacté quelques chercheurs pour démarrer ce projet. Il aimerait aussi tenter de faire germer des semences du melon de Montréal, mais pas tout de suite.
Le local de conservation du musée – situé sur le campus de la première école d’agriculture permanente au Canada, fondée en 1859 – regorge de pots Mason remplis de semences patrimoniales amassées au fil des ans.
Avec l’aide du centre de recherche Biopterre, son équipe tentera d’abord de raviver des semences d’une poignée d’autres variétés potagères en suivant un protocole très strict.
L’une des variétés est un autre melon : le Champlain doré, un melon brodé à chair orangée cultivé à partir des années 1930.
Une démarche remplie d’espoir, car plus les années passent, moins il y a de chances qu’une semence germe.
« Les semences, jusqu’à preuve du contraire, tant qu’elles existent, elles sont viables. Ce sont des embryons qui attendent le bon moment pour se réveiller et elles peuvent, dans certains cas, demeurer vivantes pendant des centaines, voire des milliers d’années », explique-t-il.
S’il réussit à raviver le Champlain doré, le protocole pourrait ensuite s’appliquer au melon de Montréal.
Alors que les changements climatiques bouleversent l’agriculture, il estime que le Champlain doré est plus intéressant à réintroduire, car il est beaucoup plus hâtif. Il produit des fruits après de 55 à 65 jours contre de 70 à 80 jours pour un melon traditionnel.
Les semences ancestrales ont parfois passé à travers des centaines de milliers d’années. Elles sont déjà adaptées à toutes sortes de possibilités et de conditions climatiques.
Si l’expérience est un succès, les plants en croissance seront présentés lors de l’exposition cet été. Le public pourra aussi suivre le résultat à distance en direct sur le web à partir des laboratoires de Biopterre.
Patrice Fortier, un artisan semencier du Kamouraska qui travaille comme consultant pour l’exposition, ménage ses attentes, mais trouve l’aventure très excitante.
« C’est un beau rêve, c’est vraiment un bel exercice à faire parce qu’il y a des trésors. Il y a des variétés qui n’existent plus là-dedans, qui ne sont plus vivantes, des variétés avec des traits très désirables selon ce qu’on en lit, mais qui, allez savoir pourquoi, ont disparu », souligne-t-il.
Il qualifie la découverte potentielle des semences du melon de Montréal d’« extraordinaire ».
« Si jamais ces graines-là s’avèrent correspondre à la description, c’est un trésor immesurable », dit-il. « Les semences, je vois ça comme la base d’un pays, la base d’une société. »
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